Déclin de la littérature

Comme un long striptease

Landry, Pierre-Luc

Il est possible d’aborder Premier bilan après l'apocalypse par ce qu’il dit de Beigbeder et, par extension, par ce qu’il dit de la littérature, notamment d’une certaine littérature contemporaine. Premier bilan après l’apocalypse, c’est un long striptease pendant lequel on en apprend tout autant sur Beigbeder que sur les romans qu’il a choisi de faire figurer dans ce grand palmarès.

Dans le « vestibule de l'enfer »

Auger, Manon
Landry, Pierre-Luc

Dans ce recueil de réflexions au titre saisissant, Richard Millet tente de livrer une définition du «cauchemar contemporain nommé roman». Voilà bien une entreprise pour le moins complexe et téméraire, si on en juge par la position privilégiée qu’occupe la littérature narrative en régime contemporain. Mais c’est justement là, on le devine, l’intérêt du propos de Millet. Il serait facile de s’en prendre à l’écrivain (qui revendique pleinement toutes les opinions exprimées dans le recueil) et de dénoncer son hypocrisie de romancier ou son eurocentrisme —pour ne pas dire son gallocentrisme. Néanmoins, cette utilisation à des fins polémiques des réflexions de Millet n’est pas celle qui nous a semblé d’emblée la plus féconde, même si cet essai y invite indubitablement. Nous avons plutôt préféré aller au-delà des «montées de lait» occasionnelles, afin de faire émerger la réflexion plus fondamentale qui est au cœur de la démarche de l’écrivain. Car notre ambition n’est pas de rendre Millet sympathique ou antipathique, mais bien plutôt de dégager les grands éléments de sa pensée par rapport à cette notion de postlittérature, notion qui nous paraît, sinon opératoire, du moins intéressante pour penser la production littéraire actuelle, qu’elle soit française, québécoise ou —pour reprendre un terme maintes fois utilisé par Millet lui-même— «internationale».


Les gros bras du conteur

Grenier, Daniel
New York, Little, Brown and Company, 2010
729 pages.

The Four Fingers of Death, le très massif roman de l’américain Rick Moody, auteur de The Ice Storm et The Black Veil, est assez facile à résumer. Dans une longue introduction rédigée en 2026, le narrateur, un écrivain qui se qualifie d’ultra-minimalisteappelé Montese Crandall explique comment il en est venu à être l’auteur de la novélisation de The Four Fingers of Death, la nouvelle version du film culte de 1963 The Crawling Hand. La suite du roman de Moody est la novélisation en tant que telle, divisée en deux parties (Book I et Book II), écrites de la plume de Crandall; la première racontant, sous forme d’entrées de journal/blogue, les mésaventures d’une équipe d’astronautes durant le voyage interplanétaire de plusieurs mois qu’ils doivent faire pour se rendre sur Mars; la seconde décrivant en détails les conséquences effroyables de cette première mission humaine de la NASA en vue de l’exploitation et de la colonisation de la planète rouge. À la page 702, après avoir inscrit les mots THE END, Montese Crandall revient au premier plan, le temps d’une courte postface qui clôt le livre. Bien entendu, on pourrait complexifier infiniment ce résumé bêtement structurel en ajoutant des détails sur ce qui se déroule à l’intérieur de chacune des parties. C’est probablement ce que Moody aurait voulu, le roman s’inscrivant résolument, et dès les premières lignes, dans une esthétique de la surenchère, alors allons-y.

Seul contre tous

Hébert, Sophie
Paris, Gallimard, 2008
175 pages.

Les essais de Richard Millet, du Dernier écrivain (2005) au Désenchantement de la littérature (2007), semblent, depuis quelques années, se fermer à toute entreprise herméneutique, en développant une posture auctoriale particulièrement complexe. L'Opprobre (2008), son dernier livre, confirme cette tendance. Désir honnête et scrupuleux de restituer à son lecteur les grossièretés critiques qui ont accompagné son dernier texte? Ou plaisir malsain de ressasser en ricanant ce qui a définitivement fâché? Les premières pages de L'Opprobre dressent la liste, longue et laborieuse, mais finalement —n'est-ce pas aussi ce que cette énumération suggère?— éminemment consensuelle, des qualificatifs qu'une certaine critique littéraire a cru bon d'attribuer à l'auteur du Désenchantement de la littérature. Avec L'Opprobre, Millet s'arroge donc le droit légitime de répondre à ses contempteurs qui, pour l'occasion, deviennent, dans son imaginaire profondément empreint de manichéisme, des «ennemis» à abattre, des «agents du Démon» à neutraliser dans des phrases assassines. 

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