Postmodernité

Emporter le paradis d'un seul coup

Auteur(s): 
Brousseau, Simon
Référence bibliographique: 
New York, Penguin Books , Submitted
310 pages.
Toronto, Harper Perennial, 2001
609 pages.

Dans tous les cas, la drogue est un moyen pour les écrivains de réfléchir à notre rapport au monde: déchirés entre le désir et le manque, nos contemporains connaissent eux aussi la compulsion, la tentation des objets qui chantent à l'unisson, comme dans un dessin animé de Disney qui aurait tourné au cauchemar: «Consomme-nous! Consomme-nous! Quand tout sera consumé, tu seras au Paradis.» Il est peut-être banal d'affirmer que tout peut potentiellement être une drogue: l'amour, le sexe, le café, le dessert, mais il l'est sans doute moins de pousser à termes le raisonnement. Le fait de s'investir affectivement dans la consommation laisse entrevoir une forme de vide. De quelle nature est ce vide? C'est la question que la drogue pose. Et comme il existe plusieurs sortes de drogues, il doit exister aussi plusieurs sortes de vide, ou plusieurs façons de s'y abandonner.

Pour une écriture sous ecstasy : Beigbeder coke en stock

Auteur(s): 
Larangé, Daniel S.
Référence bibliographique: 
Paris, Librairie générale française, 1994
150 pages.
Paris, Gallimard, 2000
299 pages.
Paris, Gallimard, 1999
108 pages.
Paris, Grasset, 2005
384 pages.
Paris, Grasset, 2009
281 pages.

La consommation endémique de toute espèce d’excitant, si fréquente dans les sociétés postindustrielles, dénonce le besoin d’artificialité dans un monde où toute réalité plonge inexorablement dans l’absurde et le grotesque. La cohérence de l’univers se déconstruit avec la fin des Grands récits (Lyotard, 1979) et ouvre ainsi l’ère du «bonheur paradoxal» en régime d’hyperconsommation (Lipovetsky, 2006). Les romans de Frédéric Beigbeder, qui se revendique haut et fort être un écrivain de la postmodernité, sont disponibles dans les magasins de grandes surfaces. Aussi n’hésite-t-il pas à qualifier son écriture comme celle d’un « néo-néo-hussard de gauche, d[’un] sous-Blondin aux petits pieds pour cocaïnomanes germanopratins, truffé[e] d’aphorismes lourdingues dont même San-Antonio n’aurait pas voulu dans ses mauvais trimestres ».

Un journal très utile

Singher, Charles
Montréal, Héliotrope, 2010
190 pages.

Nous sommes dans un moment de relâchement crispé, je parle de la couleur du temps. Constat facile. Lieu commun des lieux communs. Recyclage. C’est pourtant la réflexion qui est provoquée par la lecture d’Une vie inutile de Simon Paquet. Il y a dans ce roman un jeu entre l’humour cynique, la lourdeur intertextuelle –d’un certain postmodernisme– et l’inutile quête du bonheur, la peur généralisée par rapport à l’avenir –d’un certain hypermodernisme. Normand –le protagoniste– est un homme en milieu de vie qui utilise d’infinies références littéraires et culturelles pour commenter son quotidien et qui, somme toute, vit le tragique contemporain de celui pour qui rien ne fonctionne dans une société qui demande que tout soit productif et rempli de bonheur immédiat. Il y a plusieurs éléments en jeu dans ce roman. Le contrat de lecture humoristique qui s’installe dès les premières pages permet une lecture cinglante du moment contemporain nord-américain par le biais du bain hypermoderne qui va bien au-delà du simple misérabilisme crispé qui s’écrit tous les jours. Normand est prisonnier de son «minuscule» demi-sous-sol, au même titre qu’il ne répond pas de son époque. Il illustre et incarne la fin d’une époque. L’échec de Normand ne s’étaie «ni comme le sigle d’un mouvement (qui n’existe pas), ni comme la désignation d’un état d’esprit (trop flottant, trop contradictoire), mais simplement comme le symptôme d’une crise, d’une fin d’époque». Sur le fond, cette fin est caractérisée par la traditionnelle impasse de la quête du bonheur, par son corollaire: l’ennui, par l’urgence d’avoir des «projets» et par le tragique contemporain qui oppose l’individu et les dieux –ici, la doxa.

 

La réalité semblait de plus en plus stérile

Brousseau, Simon
New York, Scribner, 2007
205 pages.

Cette insistance sur l’incommunicabilité et sur la solitude du sujet contemporain m’apparaît importante en ce qu’elle adresse à notre époque des questions qui concernent ses fondements. Je ne crois pas qu’il s’agisse d’un hasard si tant d’oeuvres littéraires, ces dernières années, se montrent soucieuses quant à la solitude des individus et insistent à ce point sur l’importance des rapports intersubjectifs. On pourrait objecter avec raison qu’il s’agit d’un thème universel qui traverse l’histoire de la littérature, mais je répondrais que ce thème acquiert une signification particulière dans le contexte contemporain.

Scènes de cul postmodernes et autres allusions à la neuvième porte du corps

Tremblay, Karrick
Montréal, Les Herbes Rouges, 2009
672 pages.

Nous avons donc entre les mains un «roman adressé à ceux qui ne lisent pas» et, ironiquement, c’est en faisant une analyse plus poussée des éléments inhérents à la littérature postmoderne que le lecteur plus aguerri trouve son compte.  C’est donc dans cette optique que j’ai choisi de lire La canicule des pauvres et je vais montrer comment les multiples mises en abyme, l’intertextualité et les différentes formes d’intermédialité servent à générer l’autoréflexivité de l’œuvre et de son contexte d’édition. 

Dans le « vestibule de l'enfer »

Auger, Manon
Landry, Pierre-Luc

Dans ce recueil de réflexions au titre saisissant, Richard Millet tente de livrer une définition du «cauchemar contemporain nommé roman». Voilà bien une entreprise pour le moins complexe et téméraire, si on en juge par la position privilégiée qu’occupe la littérature narrative en régime contemporain. Mais c’est justement là, on le devine, l’intérêt du propos de Millet. Il serait facile de s’en prendre à l’écrivain (qui revendique pleinement toutes les opinions exprimées dans le recueil) et de dénoncer son hypocrisie de romancier ou son eurocentrisme —pour ne pas dire son gallocentrisme. Néanmoins, cette utilisation à des fins polémiques des réflexions de Millet n’est pas celle qui nous a semblé d’emblée la plus féconde, même si cet essai y invite indubitablement. Nous avons plutôt préféré aller au-delà des «montées de lait» occasionnelles, afin de faire émerger la réflexion plus fondamentale qui est au cœur de la démarche de l’écrivain. Car notre ambition n’est pas de rendre Millet sympathique ou antipathique, mais bien plutôt de dégager les grands éléments de sa pensée par rapport à cette notion de postlittérature, notion qui nous paraît, sinon opératoire, du moins intéressante pour penser la production littéraire actuelle, qu’elle soit française, québécoise ou —pour reprendre un terme maintes fois utilisé par Millet lui-même— «internationale».


La littérature postironique, une rebelle qui vous veut du bien

Messier, William S.
Auger, Anne-Marie

Une œuvre plutôt éclectique, intitulée Réussir son hypermodernité et sauver le reste de sa vie en 25 étapes faciles de Nicolas Langelier (2010), récupère une réflexion sur l’ironie entamée chez nos voisins du sud. Or, un bref survol de la réception de l’ouvrage permet de constater que la critique accorde étonnamment peu d’importance à un aspect crucial de l’œuvre, c’est-à-dire le joug de l’ironie, voire du cynisme latent dans la plupart des expériences sociales, politiques ou artistiques de l’individu dit hypermoderne. Pourtant, on est placé dans une position particulière: l’auteur souligne abondamment la tendance du lecteur contemporain à se rabattre sur un certain deuxième degré –une espèce de décalage «surconscient» du réel– pour appréhender les faits plus ou moins dramatiques de son existence. Le choix de Langelier d’imiter la forme psycho-pop peut d’ailleurs être interprété comme faisant allusion à cette tendance. Réussir son hypermodernité a parfois l’aspect d’un livre de croissance personnelle fait sur mesure pour un lecteur qui conçoit d’emblée l’ironie comme mode premier d’expression et de représentation, un lecteur méfiant de tout ce qui ne se présente pas d’office comme ayant une posture ironique.

Quand l’auteur joue avec la (méta)fiction

Landry, Pierre-Luc

Si on considère qu’il y a un mastermind, un génial conspirateur derrière tout cela, un narrateur implicite (ou un auteur implicite) qui vient arranger les événements —et qui relègue par le fait même les deux récits au rang de récits intradiégétiques—, la question de son identité se pose désormais. Qui est-il? Pourquoi se contente-t-il de retranscrire le bulletin de nouvelles et d’ajouter un extrait de l’article de Basu concernant Ghanada, plutôt que de mettre en place un véritable récit cadre qui viendrait ceinturer cette fiction qui, sans de telles frontières, n’est rien de moins que problématique?

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