Qui le saura?
Quoi: Poésies déambulatoires spontanées
Où: rues d'Hochelaga
Quand: automne 2014
Comment: logiciel SIRI sur iPhone et Evernote
J’ai acheté un t-shirt noir sur lequel j’ai fait écrire les mots « déjà bien équipées ». Mots écrits en blanc. Mots choisis par dépit.
Je le porte, ce t-shirt, sachant que plus le temps passe et plus la phrase deviendra obscure. Déjà bien équipées. De plus en plus opaque. Une phrase qui ne dit rien.
Déjà bien équipées: les bibliothèques, les universités, les écoles, les garderies, les salles de classe, les étagères, les librairies, les centres communautaires.
Déjà bien équipées.
Comme une chevauchée fantastique.
Jouer aux soldats de plomb, monter une armée entre le sofa et la table à café. Fermer les lumières. Attendre, attendre, attendre, attendre encore.
Imaginer une guerre entière faite de plomb et de pensées. Mais le sang n’est pas une matière stable.
L’œuvre est noire.
Interdiction complète de pénétrer dans une ruelle.
Pas de ruelle pour moi. No way. No me. Not my life. Des rues, oui, des cafés, des stands à patates, des fruiteries aux légumes défraichis, des usines désaffectées, des parcs à chiens – pitbull, berger allemand, bâtard, yorkshire noir, rothweiler, berger belge, je me prendrais bien un labrador noir –, des allées de bowling, des 5-10-15, des dépanneurs, des cafés, des bars.
Un Pawnshop liquide.
Rejoindre le fleuve depuis la rue Ontario, rejoindre le fleuve depuis la ville. Autant dire essayer de défier ces murs dressés par l'activité économique. De contrecarrer des décennies de développement urbain et industriel. La vie s'arrête juste avant la rue Notre-Dame, ses camions, sa violence sonore, ses mouvements, ses bourrasques de vent, quand les mastodontes passent à toute allure à quelques centimètres du trottoir, indifférents aux piétons. Et pourquoi y aurait-il des piétons à cet endroit? Ce n'est pas un endroit pour marcher, c'est un endroit pour rouler, pour foncer entre deux feux de circulation. La rue n'est pas une rue, c'est une route, une voie rapide, elle impose son propre ordre, celui des moteurs à combustion, des châssis d’acier et des habitacles protégés.
Il n'y a pas de fleuve dans ce coin de la ville.
Il n'y a pas de fleuve quand l'industrie règne en maître.
Il n'y a pas de fleuve de l'autre côté de la route, de l'autre côté des façades d’usine, avec leurs cheminées, murs de ciment, grillages, bretelles qui laissent monter les véhicules autorisés.
Quand je cherche le fleuve, je le retrouve sur une carte ou une mappemonde, mais pas en ville. Le fleuve n’est jamais aussi imposant que sur une carte.
Mais en ville ou ici, à Hochelaga, il n’y a pas de fleuve. De l’eau, oui, mais le fleuve?
L'enlumineur travaille dans le noir.
Il s'entaille le doigt, le sang gicle.
Du rouge illumine la pièce quand il s'évanouit.
Que vienne le froid, je suis prêt.
Que tombe la nuit, je suis prêt.
Mais que la porte se referme, je ne suis plus rien. Un bruit sourd et les lignes s’embrouillent. Le regard se détache. On dirait la scène d'un théâtre, un bureau en contre-plaqué, un tapis gris, un petit téléviseur, un miroir. Personne ne fait de l'art avec ça.
Mes souvenirs changent de forme chaque fois que je les invoque. Où ai-je été? Où suis-je, si plus rien ne reste stable?
Poésie urbaine.
C’est pas de la poésie, ce sont des ruminements. Des rumeurs.
Une poésie de fond de sac à dos coincée entre des post-it et de vieux trombones.
Sacs de plastique noirs, corps morts, guerre ouverte.
J’ai tendu l’oreille, je suis revenu avec un torticolis.
Hochelaga m’a chuchoté à l’oreille des choses impossibles à répéter.