Depuis le XIXe siècle, les politiques de la littérature se donnent pour mission d’émanciper le lecteur en lui révélant les mécanismes de la domination. Du fouriérisme de Gabriel-Désidé Laverdant à l’existentialisme des Temps modernes, on attribue aux écrivains la tâche d’éveiller la conscience de leurs lecteurs afin de les inviter à transformer leurs conditions d’existence. Or ces théories de l’émancipation par la littérature sont paradoxales en ceci qu’elles se refusent à penser une lecture émancipée: elles n’imaginent pas que la liberté du lecteur puisse s’exprimer autrement que par l’assujettissement à la double autorité de l’auteur et du texte. L’émancipation des lecteurs, dans ces politiques de la littérature, paraît inconciliable avec l’émancipation de la lecture. Notre communication propose d’envisager ce paradoxe et son histoire par la confrontation des conceptions historiques et sociologiques de la lecture (Bourdieu, Chartier, Darnton), qui mettent en lumière les déterminismes sociaux des pratiques culturelles, et des conceptions philosophiques et pragmatistes de la littérature (Rancière, Citton, Macé), qui insistent au contraire sur la dimension productrice et créatrice des gestes d’appropriation. (Archives)
OBSERVATOIRE DE L'IMAGINAIRE CONTEMPORAIN