Présentation de la communication
Assise en tailleur face à l'écran, Nadine appuie sur «Avance rapide» pour passer le générique. C'est un vieux modèle de magnétoscope, sans télécommande. À l'écran, une grosse blonde est ligotée à une roue, tête en bas. Gros plan sur son visage congestionné, elle transpire abondamment sous le fond de teint. Un mec à lunettes la branle énergiquement avec le manche de son martinet. Il la traite de grosse chienne lubrique, elle glousse. Une voix off de femme rugit: ‘Et maintenant, salope, pisse tout ce que tu sais’. L'urine sort en un joyeux feu d'artifice. La voix off permet à l'homme d'en profiter, il se précipite sur le jet avec avidité. Il jette quelques coups d'œil éperdus à la caméra, se délecte de pisse et s'exhibe avec entrain.
«Vous l’avez reconnu, ainsi débute Baise moi de Virginie Despentes. On conviendra que malgré les termes qui appartiennent au lexique de la fête (joyeux feu d’artifice, délectation, gourmandise), la note divertissante de cette incipit peine à s’imposer.
Il faut dire que s’y superpose une brutalité non-masquée, élément déclencheur néanmoins du plaisir à l’œuvre. Ainsi, dès le début, la violence et la jouissance sexuelle s’exaltent mutuellement. Il en sera ainsi tout au long du roman, le crime prenant le pas cependant sur la douleur consentie.
Cet incipit a retenu notre attention. Non pas pour sa note licencieuse, mais d’une part parce qu’il met en place une logique d’inversion qui n’est pas sans effets sur la poétique du roman, et d’autre part parce qu’il noue dialectiquement matière et savoir. Dans les deux cas, ces procédés participent d’une carnavalisation indirecte du texte qui, nous le verrons, pose la question du réalisme en termes esthétiques mais aussi et surtout offre les moyens d’interroger le point aveugle de toute entreprise réaliste.»