Présentation du colloque
Les 28 et 29 mai 2015, à l'Université de Montréal, s'est déroulé le colloque «Héritages de Claude Cahun et Marcel Moore». L'événement a été organisé par Andrea Oberhuber, professeure au Département des littératures de langue française de l'Université de Montréal, et Alexandra Arvisais, doctorante en littératures de langue française à l'Université de Montréal.
Vous pouvez visiter le site Web du colloque en cliquant ici. Le programme est disponible aussi en format .pdf au bas de cette page.
Depuis les années 1990, l’œuvre de Claude Cahun a été presque systématiquement interprétée à travers le prisme de l’esthétique surréaliste. En font foi les diverses expositions et publications en Europe et en Amérique du Nord ayant présenté Cahun aux côtés d’autres artistes du cercle surréaliste ou, parfois, dans le contexte plus général des avant-gardes de l’entre-deux-guerres. Or, loin de n’être héritière que de ce seul courant, son œuvre littéraire et picturale, élaborée pour la plupart avec le concours de la peintre-graphiste Marcel Moore, se situe au carrefour de plusieurs influences: le symbolisme, le modernisme, Dada et le surréalisme.
Certains thèmes et motifs du travail du couple d’artistes (mythologie gréco-latine, narcissisme, androgynie, monstre, masque et double), de même que divers traits stylistiques (de l’esthétisation des sensations à l’«écriture artiste», en passant par les dessins d’inspiration Art Nouveau de Moore) relèvent de l’influence symboliste, notamment celle de Marcel Schwob pour ce qui est de l’écriture et d’Aubrey Beardsley et de l’estampe japonaise dans le domaine visuel. En revanche, le recueil de nouvelles Héroïnes s’inscrit dans le courant moderniste des années 1910-20 auquel Cahun, héritière d’une tradition familiale anglophile, ne pouvait qu’être sensible: les stratégies de réécriture de grandes figures mythologiques puisent allègrement dans l’ironie comme modalité de mise en cause non seulement de modèles féminins ancestraux mais également du discours ayant figé leur image depuis des siècles. Dans l’entre-deux-guerres, l’esthétique du collage Dada et les valeurs surréalistes (l’enfance, l’onirisme, l’hybridité générique, le double et la hantise, le fragmentaire, etc.) inspirent la création de son ouvrage autographique majeur, Aveux non avenus, des nombreux autoportraits, photomontages ainsi que des mises en scène d’objets surréalistes. Avec Aveux non avenus et Cœur de Pic (de Lise Deharme et Claude Cahun), Cahun et Moore reconfigurent l’objet livre dans ses dimensions matérielle et collaborative, un travail amorcé par Dada et le surréalisme qui fera fortune tout au long du XXe siècle et jusqu’à nos jours sous la forme du «livre d’artiste», tel que pensé par Edward Ruscha, Robert Filliou, Christian Boltanski et Annette Messager, entre autres. La politisation de la pensée cahunienne s’opère avec l’essai Les paris sont ouverts, rédigé sur l’instigation de Breton peu avant l’exil de Cahun et de Moore sur l’île de Jersey où l’auteure reprendra le fil auto(bio)graphique dans un texte resté à l’état de fragments, Confidences au miroir.
Le colloque sera l’occasion de nous interroger d’une part sur les héritages littéraires, esthétiques et éthiques dont a profité le couple Cahun-Moore dans leur démarche entre les courants littéraires et esthétiques, entre les arts et les médias, entre les genres masculin/féminin; d’autre part, compte tenu de la valeur avant-gardiste d’un large pan de leur œuvre, il s’agira de s’intéresser aux traces laissées dans l’œuvre de potentiels héritiers, que cet héritage soit revendiqué ou non. Les chercheurs seront invités à réfléchir aux notions d’héritage et de filiation, de seuil et de frontière, de partage et de passage. [Site Web du colloque]
Programme du colloque
Cliquez sur le titre d'une communication pour accéder à l'archive audio/vidéo.
Mot de bienvenue des organisatrices: «Héritages de Claude Cahun et Marcel Moore»
Conférence inaugurale
Mireille Calle-Gruber. «Elles le livre»
Séance: Héritages
Agnès Lhermitte. «La nièce de Marcel Schwob...»
Gayle Zachmann. «Décombres de Claude Cahun: lettres et legs»
Alexandra Arvisais. «Tel oncle, telle nièce: l'héritage symboliste des Vies imaginaires dans Héroïnes et Aveux non avenus»
Séance: À la croisée des influences et des échanges
Charlotte Maria. «Famille, héritages et influences, entre création et pathologie»
Josée Simard. «L'influence du symbolisme dans les images-peintures de Vues et visions»
Marie-Claude Dugas. «Héroïnes ou les contes modernistes de Claude Cahun»
Michel Carassou. «Claude Cahun et Havelock Ellis dans Inversions et L'Amitié»
Séance: (Re)connaissance
Ève Gianoncelli. «Héritage(s), situation de la connaissance et conflictualités de la reconnaissance. Claude Cahun à la lumière de ses commentateurs/trices»
Clara Dupuis-Morency. «Décalages de la filiation: héritages de Cahun et Moore dans l'image et dans le texte»
Valérie Etter et Anke Vrijs. «Travail à deux voix: fusion et confusion des identités»
Léonie Lauvaux. «La robe, symbole et significations»
Séance: Legs et filiation
Valérie Etter. «Autoreprésentation et travestissement chez Cindy Sherman et Yasumasa Morimura»
Servanne Monjour. «Lydia Flem au miroir de Claude Cahun: une poétique de l'anamorphose»
Hervé Sanson. «Une lecture folle de Nathanaël: Claude Cahun par la bande ou la lettre absente»
Conférence de clôture
Nathanaël. «La lune arquée ou l'E dépensé»
Organisation du colloque
Andrea Oberhuber est chercheure régulière à FIGURA, le Centre de recherche sur le texte et l'imaginaire. Elle est professeure au Département des littératures de langue française de l’Université de Montréal, elle y enseigne la littérature française et québécoise des XXe et XXIe siècles, notamment l’écriture des femmes, les rapports texte/image et les avant-gardes de l’entre-deux-guerres.
Alexandra Arvisais est doctorante et chargée de cours au Département des littératures de langue française de l'Université de Montréal.
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Programme du colloque | 16.1 Mo |
La lune arquée ou l'E dépenséL'architecture du lieu a sa dimension, elle fait feu. Un ciel dans un ciel, sans appartenance. Le sentier est battu par le vent, l'eau monte et touche la pierre posée dans le battement auréolaire. Nuage, parce-que vent et mouvement en grand. L'espèce, sous forme de trois anatidés, se dispute un courant. Le quatrième, poussin pour trois perdieux, dérive sur une lame maritime et exténue le regard identificateur. |
Mot de bienvenue: Héritages de Claude Cahun et Marcel MooreL'idée d'organiser ce colloque remonte à il y a plus d'un an et demi. Nous avons surtout retenu cette idée de partage entre les siècles, les arts et les médias, ainsi que l'idée d'héritage. La notion d'héritage(s) est à penser au pluriel, même si aujourd'hui ont met le pluriel à tous les mots et à tous les termes. Ce pluriel nous semble ici justifié puisque que Claude Cahun et Marcel Moore se sont inspirés de plusieurs héritages. On a beaucoup classé l'oeuvre de Claude Cahun dans le surréalisme, pour ensuite s'intéresser à une filiation avec le modernisme. |
Une lecture folle de Nathanaël: Claude Cahun par la bande ou la lettre absente«Je vous dirai une folie. Elle s’inscrit dans les lignes du visage recopiées cent fois sur un papier transparent jeté au brasier. […] La folie maladressée.» Par ces mots de Nathalie Stephens dite Nathanaël, extraits de L’absence au lieu (Claude Cahun et le livre inouvert), une éthique de la lecture tout autant que de l’écriture voit le jour: la folie, si on la prend à la racine, consiste à «faire le vide, dans la tête et dans le corps»; ce qui est façon d’interroger: peut-on lire depuis la folie? avec folie? Folie à/de l’origine pour Cahun. |
Lydia Flem au miroir de Claude Cahun: une poétique de l'anamorphoseDans ses travaux consacrés aux perspectives dépravées, Jurgis Baltrušaitis observe que si les surréalistes ont largement œuvré en faveur du renouveau des formes anamorphiques au début du XXe siècle, c’est pour inscrire celles-ci dans une poétique de l’informe et du désordre. Car c’est en effet «la puissance déformatrice et non restauratrice des formes déformées» (Jurgis Baltrušaitis, Anamorphoses ou Thaumaturgus opticus, Les perspectives dépravées, Paris, Flammarion, 1984, coll. «Idées et recherches», p. |
Autoreprésentation et travestissement chez Yasumasa MorimuraL’un des principaux héritages esthétiques de Claude Cahun est sans doute le travail sur l’autoportrait photographique. On peut parler d’autoportrait, bien que ce soit sans doute Marcel Moore qui déclenchait l’appareil photographique, parce que ce devait être Claude Cahun qui présidait à l’ordonnancement des clichés et que les expérimentations qu’elle propose et où elle est toujours son propre modèle, sont terriblement personnelles. |
La robe, symbole et significationsLa communication que je propose concernant l’héritage de Claude Cahun et Marcel Moore portera sur l’apparition d’un vêtement, la robe, dans la pratique photographique des artistes et la reprise de ce symbole de féminité par les artistes contemporains. |
Travail à deux voix: fusion et confusion des identitésEn marge des courants dominants, Claude Cahun a utilisé la photographie de façon très personnelle pour questionner son identité: elle n’a cessé de se représenter et de s’inventer une autre identité à travers son image manipulée, construite avec humour et artifices, dépassant ainsi la fonction de représentation objective communément associée à l’appareil photographique. |
Décalages de la filiation: héritages de Cahun et Moore dans l'image et dans le texteLe tracé d’une filiation, dans le champ visuel, de l’œuvre plastique collaborative de Claude Cahun et de Marcel Moore avec les œuvres d’artistes contemporains (Cindy Sherman, ORLAN, Matthew Barney, etc.) n’est pas difficile à établir. |
Héritage(s), situation de la connaissance et conflictualités de la reconnaissance. Claude Cahun à la lumière de ses commentateurs/tricesCette communication vise à problématiser la question de l’héritage à travers les formes d’appropriation de la pensée et de l’œuvre de Cahun et la manière dont elles les inscrivent dans différents types d’histoire intellectuelle (au sens large). Si les formes de l’héritage de Cahun de ce point de vue apparaissent connues, elles ont en réalité peu fait l’objet d’un travail d’analyse systématique en tant que tel d’une part; d’autre part, les raisons qui ont favorisé les différentes formes de sa réinscription intellectuelle et artistique ont peu été analysées. |
Claude Cahun et Havelock Ellis dans «Inversions» et «L'Amitié»On connaissait de Claude Cahun sa réponse à l’enquête d’Inversions dans la revue L’Amitié (avril 1925). |
«Héroïnes» ou les contes modernistes de Claude CahunPeu d’auteurs français ont été étudiés dans le cadre critique du modernisme littéraire, associé le plus souvent à des œuvres anglo-saxonnes. Or, les nouvelles qui composent le recueil Héroïnes portent les traces de l’expérimentation moderniste. Chaque texte ressuscite, sur le mode du détournement, un mythe féminin tiré de l’Antiquité, de récits bibliques ou de contes populaires et témoigne du rapport ambivalent qu’entretient le modernisme littéraire avec le passé. |
L'influence du symbolisme dans les images-peintures de «Vues et visions»Première œuvre composite créée en collaboration avec l’artiste visuelle Marcel Moore, Vues et visions (1919) de Claude Cahun est un objet littéraire protéiforme appartenant au genre de l’iconotexte (Alain Montandon), où s’instaure un dialogue intermédial entre le textuel et le visuel au point de déconstruire l’horizon d’attente du lecteur. Celui-ci est incité à lire et à voir alternativement les poèmes en prose ainsi que les dessins de sorte que les frontières qui définissent l’espace du littéral et du figural apparaissent poreuses. |
Famille, héritages et influences, entre création et pathologieComme nous le savons désormais, Claude Cahun est une artiste protéiforme qui a exercé son talent dans un grand nombre de domaines: écriture, photographie, art plastique, journalisme, théâtre. Or, si l’on se penche sur la question de l’héritage artistique, on observe que les mécanismes de l’influence diffèrent grandement selon le médium utilisé. |
«Tel oncle, telle nièce»: l'héritage symboliste des «Vies imaginaires» dans «Héroïnes» et «Aveux non avenus»Depuis les années 1990, la critique s’est intéressée à la part du surréalisme dans l’œuvre de Claude Cahun et Marcel Moore, mais le symbolisme de la fin du XIXe siècle constitue également un héritage majeur, qui se fait tangible à travers le choix de certains thèmes et motifs (le narcissisme, l’androgynie, le masque, le double), de l’exploration formelle, de l’écriture «artiste», de l’inspiration Art Nouveau des dessins de Moore, du principe de l’obscur et de l’hybridité. |
Décombres de Claude Cahun: lettres et legsDans ma communication, je me propose d’esquisser la place des discours d’héritage dans l’œuvre de Claude Cahun (née Lucy Schwob, 1894-1954): ceux qu’elle invoque, ceux qu’elle mettra en question, en suspens, et en marche. |
«La nièce de Marcel Schwob»...Il s’agira de questionner cette périphrase par laquelle Lucy Schwob/Claude Cahun fut désignée le plus souvent dans le monde littéraire de son temps. Comment et dans quelle mesure cette filiation supposée mais indirecte, «de biais», se traduit-elle sociologiquement et esthétiquement dans le parcours de l’écrivaine? Cet homme d’un autre siècle, dont l’érudition et la perfection d’écriture recevaient les louanges de l’élite intellectuelle d’avant-guerre, lui fut-il détermination aliénante ou simple starting-block? Peut-on à son sujet parler de modèle? |
Elles le livreElles, le livre. Le titre, à dessin, est sibyllin. Il annonce. Il prédit à la lettre et à plus d'un titre le mystère de la création à plus d'une. Tel sera mon propos. Non pas percer quelques secrets, lequel des lors n'en serait pas un, mais tenter de faire toucher l'impénétrable mystère du livre à plus d'une. Ce titre semble faire une phrase mais il forme un syntagme. C'est à dire un agencement de mots, plutôt qu'une logique. |