«[L]e narrateur-auteur-personnage omniscient, si actif dans la prose moderne, démontre que la construction du roman ne saurait faire abstraction de son constructeur», affirme Wladimir Krysinski. À la différence du dialogisme présenté par Mikhaïl Bakhtine, où l’auteur s’efface derrière la parole des personnages, l’auteur-constructeur témoigne de sa forte présence, de son autorité narrative, grâce à une manipulation notable des éléments constitutifs du récit. Or, bien que Krysinski signale une tendance romanesque, cette disposition à la construction narrative n’épargne pas le genre du recueil de nouvelles. En effet, dans certains recueils contemporains, les nouvelles, formellement ou thématiquement reliées, semblent révéler la voix omniprésente d’un narrateur-auteur derrière leur conception. C’est ce qui caractérise, notamment, le recueil de nouvelles L’art de la fugue de l’auteur Guillaume Corbeil, publié en 2008. Par l’intermédiaire du prologue et de l’épilogue, le narrateur homodiégétique expose sa propre histoire: il souhaite échapper au trouble qui le ronge, fuir sa vie qui représente un espace inhabitable. Pour mettre en marche ce projet, il construit des mondes énigmatiques, des fictions narratives qui formeront L’art de la fugue: «Je vais rallumer la lumière et me remettre à écrire tout plein d’histoires à dormir debout, des histoires qui n’ont absolument rien à voir avec moi, car il n’y a que là où l’on n’est pas qu’on peut espérer se trouver. Et que dans la fugue qu’on peut se sentir à la maison.» (AF, 15-16) Ces fables ne font pas l’objet de récits linéaires et homogènes. Terrains de moult variations narratives, les récits proposent des intrigues morcelées, des personnages évanescents. On sent, en fait, dans chaque nouvelle, que l’histoire se plie au verbe inventif du narrateur-constructeur: celui-ci transgresse l’ordonnancement classique du récit et va, à certains moments, jusqu’à remettre en question les «catégories fondamentales de notre perception du monde», soit «la temporalité (relation de succession, d’avant et d’après) et la causalité (une action est la cause d’une autre)».
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Cet article a d'abord été publié dans la revue Voix et images, vol. 38, n°1, en 2012.
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