drogues

The prettiest thing is the darkest darkness: les récits des prostituées

Je croise régulièrement à Hochelaga où j’habite et dans le centre-sud de Montréal des prostituées de rue. Je leur souhaite souvent en silence d’être comme One Eye dans Thriller–a cruel picture (1974): de prendre les armes, de buter les emmerdeurs et de fuir dans une auto de police volée. Mes vœux de révolte sont aussi charmants que stupides. Lorsqu’on voit les prostituées de rue, dans les faits, on espère seulement qu’elles seront capables de marcher sans tomber jusqu’au prochain immeuble tant elles sont mal en point, et qu’elles trouveront un client rapidement pour que leur journée se termine au plus vite. Je ne regarde jamais ces femmes avec pitié. Comme tout le monde, elles m’effraient un peu. Elles font des mouvements brusques et chaotiques, elles me couvrent parfois d’insultes ou elles soulèvent leurs vêtements pour me montrer leurs seins. Je m’efforce de faire fi de mes craintes de petite fille sage, élevée dans une banlieue en région où pourrit dans l’ennui la classe moyenne aisée, et de les regarder droit dans les yeux. J’espère que mon regard est dur, j’espère aussi qu’il témoigne de la force un peu cruelle mais en même temps remplie de compassion qui m’habite.

L'expérience de la cohérence

«Central Europe» de William Vollman, à travers des fragments s'empilant comme des ruines que soude ensemble la violence refoulée de toute une civilisation, nous confronte à la réalisation du crime dans l'histoire. C'est le mal qui, dans ce roman où l'auteur intègre un vaste univers psychologique à une trame narrative composée d'évènements et de personnages historiques, fournit à l'action son rythme et sa cohérence. En travaillant à reconstruire la psychologie de personnes ayant vécu pendant la Deuxième Guerre mondiale ou un peu avant celle-ci, Vollman fait apparaître le rapport conflictuel entre les actions des individus et l'univers de possibilités historiquement favorables au crime, à la désolation, et plus largement à l'humiliation de tout ce qui rend le monde humain, dans lequel leur époque les a violemment projetés. Il importe peu que la représentation dans «Central Europe» de la relation de tel ou tel personnage à la Deuxième Guerre corresponde ou non à la réalité. Ce qui m'intéresse est davantage le questionnement sur le rapport de la spontanéité individuelle à l'objectivité massive de certains mouvements historiques, un questionnement qui dans «Central Europe» est poussé à l'extrême, en ce qu'il vient ébranler la possibilité même pour l'individu moderne de poser une distance entre cette objectivité et sa propre individualité.

Burroughs SF machine de Clémentine Hougue

Vendredi 29 Avril 2022
Imaginaire et culture pop
Participant·e·s:
Dominguez Leiva, Antonio
Hougue, Clémentine

Dans cet épisode, Antonio Dominguez Leiva s'entretient avec Clémentine Houghe à propos de son dernier ouvrage, William S. Burroughs SF machine, publié aux éditions Jou en 2021. Ils abordent les différents liens entre l'avant-garde littéraire et la science-fiction à travers l'oeuvre et la vie de William Burroughs, en particulier autour de son idée du langage comme un virus qui a contaminé l'humanité, la paranoïa, le sexe, les drogues, les mutants, etc.

Introduction [Écritures sous influence: présence des drogues en littérature contemporaine]

Les drogues sont liées aux préoccupations de certains des auteurs les plus marquants de la modernité littéraire. Si elles représentent l'interdit et la perdition, il existe également une certaine tradition qui voit dans leur usage un outil de connaissance, aussi dangereux soit-il. Ernst Jünger, dans un ouvrage qui retrace sur un mode personnel l'histoire des drogues au XXe siècle, «Approches, drogues et ivresse», propose de penser leur usage de façon dialectique. Il y a bien sûr la menace de la perte, mais également, propose-t-il, la possibilité d'un gain: «Avec la distance croît aussi l'effort. Oublier quelque chose, fuir quelque chose et d'autre part vouloir atteindre, gagner quelque chose —c'est entre ces pôles que se meut tout le problème de l'ivresse.» (Jünger, 1973: 145)

Pour une écriture sous ecstasy: Beigbeder coke en stock

La consommation endémique de toute espèce d’excitant, si fréquente dans les sociétés postindustrielles, dénonce le besoin d’artificialité dans un monde où toute réalité plonge inexorablement dans l’absurde et le grotesque. La cohérence de l’univers se déconstruit avec la fin des Grands récits (Lyotard, 1979) et ouvre ainsi l’ère du «bonheur paradoxal» en régime d’hyperconsommation (Lipovetsky, 2006). Les romans de Frédéric Beigbeder, qui se revendique haut et fort être un écrivain de la postmodernité, sont disponibles dans les magasins de grandes surfaces. Aussi n’hésite-t-il pas à qualifier son écriture comme celle d’un «néo-néo-hussard de gauche, d[’un] sous-Blondin aux petits pieds pour cocaïnomanes germanopratins, truffé[e] d’aphorismes lourdingues dont même San-Antonio n’aurait pas voulu dans ses mauvais trimestres». (Beigbeder, 1994: 10) On l’a compris: l’artiste postmoderne, jouisseur du totalitarisme des loisirs, se parodie lui-même; il est ce «bouffon» qui se prend au sérieux à force de mêler un égocentrisme exaspéré à de pseudo-révolutionnaires stupéfiants.

«The Heroin Diaries» ou ressentir la douleur de Nikki Sixx

Depuis une dizaine d'années, les autobiographies de «rockstars» se multiplient sur les rayons des librairies. Des musiciens à la vie abracadabrante, tels qu'Ozzy Osbourne, Keith Richards, Slash, Lemmy Kilmister et Steven Tyler, comptent tous leur autobiographie (quoiqu'elles sont co-écrites avec un auteur-fantôme), souvent de remarquables succès de vente. Les autobiographies de «rockstars» traitent du «croustillant», de ce qui relève du «potinage»; les lecteurs (et les fans) ont accès à la vie «sexe, drogues et rock n' roll» par les mots même du principal intéressé, ils peuvent interpréter les comportements de leurs musiciens préférés, savoir et expliquer la «vérité». Parmi les révélations des autobiographies, la consommation de drogues est un genre de mesure étalon de l'attitude typique d'une «rockstar». En ce sens, ces autobiographies regorgent de récits et d'aveux concernant les drogues. Parfois même, elles tournent autour des drogues. C'est le cas de «The Heroin Diaries: a year in the life of a shattered rock star», le journal intime de Nikki Sixx, le bassiste de Mötley Crüe, publié en 2007.

Performance toxicomaniaque: comment recoller ensemble des milliers de petits bouts de soi

La performance, justement, c’est aussi une affaire de mots, d’écriture et de langage. En effet, performer signifie un mode d’expression, une mise en acte de la parole. Dans l’écriture de la drogue, la performance consiste à soumettre le langage à une opération qui permet de dire la drogue. Car l’expérience vécue (parce qu’elle est avant tout affaire de perception, parce qu’elle correspond à une réalité unique, non partageable et non reproductible) dépasse très souvent les capacités langagières de l’auteur. Elle tient de l’indicible. En cela, Frey n’est pas différent de ses prédécesseurs: sa performance textuelle repose sur une série de moyens employés pour faire correspondre l’écrit et l’expérience.

Emporter le paradis d'un seul coup

Dans tous les cas, la drogue est un moyen pour les écrivains de réfléchir à notre rapport au monde: déchirés entre le désir et le manque, nos contemporains connaissent eux aussi la compulsion, la tentation des objets qui chantent à l'unisson, comme dans un dessin animé de Disney qui aurait tourné au cauchemar: «Consomme-nous! Consomme-nous! Quand tout sera consumé, tu seras au Paradis.» Il est peut-être banal d'affirmer que tout peut potentiellement être une drogue: l'amour, le sexe, le café, le dessert, mais il l'est sans doute moins de pousser à termes le raisonnement. Le fait de s'investir affectivement dans la consommation laisse entrevoir une forme de vide. De quelle nature est ce vide? C'est la question que la drogue pose. Et comme il existe plusieurs sortes de drogues, il doit exister aussi plusieurs sortes de vide, ou plusieurs façons de s'y abandonner.

Going With the Heat: «Miami Vice» et les contradictions culturelles du reaganisme

Dans le cadre de sa communication, Antonio Dominguez Leiva s'intéresse à la série Miami Vice, qui propose une solution mythique aux contradictions culturelles du reaganisme, du moralisme de la «guerre contre les drogues» à la célébration du lifestyle hédoniste associé aux «cocaine cowboys» du Miami des eighties.

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