Cahiers de l'IREF

Filmer le désir: sexualités et cinéma des femmes au tournant des années 2000

Je m’intéresserai à ces représentations du désir et de la sexualité dans le cinéma des femmes réalisé en France au tournant du XXe siècle, plus précisément à des représentations qui, mettant de l’avant une prise de position politique affirmée, voire radicale, sont vigoureusement engagées sur la voie féministe. Pour plusieurs réalisatrices, cette prise de position s’enracine dans ce geste, libérateur, qui consiste à prendre la caméra pour regarder/filmer, geste fondamental servant l’appropriation du regard/pouvoir féminin dans une industrie où les femmes accèdent encore trop difficilement à la réalisation.

«Bon sexe, mauvais sexe»: la représentation porno-érotique dans «Infrarouge» de Nancy Huston

Plutôt que de définir le style de Huston comme purement érotique, comme le fait Lavigne, il me semble plus approprié d’employer le terme «porno-érotique». Je mets ainsi l’accent sur le déplacement stylistique caractéristique de ce roman: la représentation pornographique permet à Huston d’emprunter les codes de la pornographie normative, celle qu’elle dénonce dans Mosaïque de la pornographie, afin de les critiquer ensuite par une révision érotique (Huston, 2004). Par pornographie normative, je fais référence à la pornographie cinématographique dominante où le plaisir et le regard phallique dominent, en accord avec la perspective sur le cinéma hollywoodien de Laura Mulvey (Mulvey, 1975: 33). J’examinerai les manières dont le style porno-érotique d’Infrarouge fait référence à la pornographie et à l’érotisme normatifs, non pas pour les cautionner, mais afin de les critiquer et de les réinventer selon une perspective féministe. En d’autres termes, je poserai son style porno-érotique comme une réappropriation de l’érotisme et de la pornographie pour et par les femmes. Je commencerai par présenter le roman étudié et la technique porno-érotique de Huston, avant d’aborder d’autres dialectiques présentes dans le roman ainsi que leurs implications pour la liberté des femmes et pour le féminisme.

«La maison étrangère» d'Élise Turcotte: un parcours vers une sexualité investie d'affect

Les protagonistes d’Élise Turcotte, à la vie intérieure foisonnante, considèrent le rapport à l’autre à la fois comme une voie vers la rédemption et comme le lieu de toutes les possibles défaites. Aussi Élizabeth, la protagoniste et narratrice de La maison étrangère, peut-elle souffrir intensément du départ subit de son conjoint Jim tout en voyant cette rupture comme prévisible et irrémédiable. Je voudrais montrer que cette réaction surprenante sous-tend un désir pas encore reconnu chez Élizabeth de vivre et de penser autrement, de passer, pour appréhender le monde, du mode de connaissance par les images –sa thèse sur les codes de l’amour courtois au Moyen Âge et son conjoint Jim, photographe– au mode de connaissance par l’affect, régi par les sens, en particulier ceux de proximité (olfaction, toucher).

La sexualité: un lieu politique d'où défaire les rapports d'oppression?

Ce triptyque «féminismes, sexualité, liberté» a inspiré les romans que j’ai écrits, les spectacles que j’ai produits, et a nourri par ailleurs ma réflexion en tant qu’enseignante-chercheuse travaillant sur les représentations médiatiques du genre et des sexualités. Néanmoins, mon rapport à la thématique de la liberté sexuelle s’est compliqué ces dernières années. Un malaise en moi a grandi, suscité par un certain type de discours sur la liberté sexuelle en France et dans d’autres pays, sur les causes que sert ce discours, et ce qu’il sert à discréditer.  Il me faudra revenir sur des éléments de contexte dans lesquels s’est développé ce discours, qui n’affecte pas que la France. Il m’a semblé nécessaire d’entamer une réflexion plus large sur la manière dont la notion de «liberté sexuelle» et les minorités sexuelles peuvent être paradoxalement instrumentalisées: d’une part, elles sont devenues objets discursifs dans le cadre d’une politique anti-migratoire aux fondements racistes; d’autre part, elles se voient dénier l’égalité des droits civiques.

Présentation: Féminismes, sexualités, libertés

Le colloque organisé par l’IREF et tenu le 11 mai 2016 a abordé les liens entre les féminismes (pensés au pluriel et impliquant convergences, dissensions et débats), la sexualité et la liberté. Autant l’appel de communications que la liste non exhaustive d’axes de réflexion proposés découlaient de notre souci d’ouverture à toutes les disciplines et à tous les types de réflexions. Par exemple, dans une perspective historique, les trois termes auraient pu nous amener à parler de contraception et de planification des naissances, ou encore des luttes pour le contrôle de leur corps qu’ont menées des groupes de femmes.

«Borchtch», forer la langue, tisser des trous: une lecture de «Ma mère est humoriste» de Carla Demierre

Il est nécessaire de citer longuement Carla Demierre. Pour s’envelopper. Son texte «Ma mère est humoriste» (2011) présente au toucher une texture papier sablé qui abîme; à l’écoute, des ritournelles entraînantes; au goût, un cœur qui lève et qui se repose. En frottant le texte sur mes joues mouillées, je l’ai senti, mou et râpeux, il a laissé des petits rouleaux de papier collants. J’ai cherché l’air des phrases, j’ai appris à les chanter pour me réveiller. J’ai mâchouillé certains fragments, parfois lentement, parfois vitement, pour que le lait jute. J’ai senti le liquide s’infiltrer dans mes creux, un lait profond qui modèle la survie.

Le mal de mère et ses effets sur l'écriture dans «Crève Maman!» de Mô Singh

Dans cet article, il s’agira de voir en quoi le langage de la fille, marquée par la folie et rejouant la violence qu’use la mère pour exprimer son amour, est altéré par le souvenir maternel et la puissance du discours social: en quoi le langage, donc, porte les traces du traumatisme en alternant entre le «trop peu» et «trop-plein» des mots, là où ils s’épanchent vers le cri. 

Filiation symbolique et acte d'écriture dans «Rien ne s'oppose à la nuit» de Delphine de Vigan

La concordance entre la mort de la figure maternelle et l’acte d’écriture entrepris par de Vigan est particulièrement intéressante. Nous tenterons d’illustrer de quelle manière s’instaure, par l’œuvre, une filiation symbolique qui permet une pacification du rapport à la mère – puisque, de son vivant, la relation entre les deux femmes était plutôt houleuse. À cet égard, l’écrit semble combler plusieurs manques chez la narratrice-autrice. Lʼacte d’écriture maintient symboliquement la figure maternelle en vie, tout en constituant une tentative de contourner le mutisme qui lʼa longuement caractérisée auprès de ses filles.

La filiation artistique entre femmes dans «Chocolat amer» de Laura Esquivel

Dans le présent article, nous démontrerons que l’art culinaire, un des seuls médiums à la portée de la benjamine, lui donne une voix/e de sortie. En effet, dans ce roman, les arts dits mineurs, tels que les recettes, permettent à Tita d’acquérir une forme de subjectivité et de s’inscrire dans une filiation de mère en fille spirituelle, d’artistes qui s’inspirent les unes les autres. Sa solitude est brisée du moment qu’elle intègre la lignée dont Nacha est la dernière héritière et qu’elle la poursuive avec sa descendance, comme sa petite-nièce, la narratrice de «Chocolat amer», qui s’inspire du legs pour construire son histoire à partir des inventions de sa grand-tante.

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