Histoire

Regards littéraires sur une crise du temps

Brousseau, Simon
Intertextes et présentisme

Il ne me semble pas irréaliste de croire que cette crise du temps diagnostiquée par de nombreux penseurs se reflète dans la production littéraire contemporaine. L’importance des écritures autofictionnelles dans les dernières années, par exemple, pourrait être interrogée à l’aune de ce constat. Cependant, d’autres pratiques littéraires fragilisent l’équation. Je souhaite ici proposer une mise à l’épreuve de l’idée du présentisme contemporain par le biais d’une réflexion sur l’intertextualité. Le texte Le mal de Montano (2002) d’Enrique Vila-Matas, qui se construit en multipliant les références aux œuvres littéraires qui le précèdent, me permettra de questionner les rapports au temps qu’une écriture intertextuelle peut développer. J’interpréterai le regard sur le monde contemporain qui est véhiculé dans ce texte, pour ensuite interroger la signification d’une des idées centrales dans celui-ci, soit la nécessité pour le narrateur de lutter contre la mort de la littérature. Nous verrons que cette lutte entraîne un rapport particulier au temps. J’aborderai aussi la représentation dans ce texte de deux événements contemporains majeurs, soit le passage dans le XXIe siècle et les attentats du 11 septembre 2001, qui peuvent être considérés, à la suite de la chute du mur de Berlin, comme étant des moments phares dans la précarisation de notre rapport au temps 

 

La plus petite unité de temps

Côté-Fournier, Laurence
Paris, Gallimard, 2008
241 pages.

C’est du délicat balancement entre intime et collectif que naît la singularité du livre, impossible à réduire à une catégorie générique. Pas de personnages, pas de récit, plutôt une collection de fragments bruts, déversés sans aucun pathos, qui mettent côte à côte des souvenirs de voyage et des scènes de films, des échos de la rumeur publique et des rappels historiques. Dispersés de 1940 à la fin des années 2000, ils dressent ensemble le portrait d’une génération, exprimé à travers le «elle», le «on» et le «nous», jamais le «je». Ce qui aurait pu se transformer en une suite de lieux communs et d’anecdotes sans grand intérêt sur différentes époques est récupéré par la volonté de l’auteure de se compromettre pour révéler le corps nu de chacune de ces années, d’exposer son expérience intime pour la perdre dans une réalité plus vaste.

L'impasse de l'oubli

Dionne, Charles
Montréal, Héliotrope, 2008
294 pages.

La mort s’incarne dans Le ciel de Bay City. Elle est l’invisible ennemie du combat perdu d’avance que livre Amy – le personnage principal et la narratrice – avec le passé de ses aïeux et de l’Amérique tout entière. C’est un désir d’identité qui motive l’effort d’oubli du personnage. Elle se voit imposer un passé, une condition mémorielle qui la déchire et cette commande de l’Histoire la pousse à maudire le ciel mauve de sa ville.

Portrait de l’athlète en mouvement

Bernard, Christophe
Paris, Minuit, 2008
144 pages.

Dans cette histoire simple, d’apparence linéaire, s’entrecroise pourtant toute une réseautique de croisements narratifs pour, au-delà du politique, esquisser le devenir d’un homme: métaphysique de l’athlète. Ainsi, de son sujet, l’écriture cherche à épouser les poussées d’intensité et les métamorphoses. En cela elle déploie sur une trame linéaire des constellations d’affects et de mouvements invisibles, fouillant toujours plus avant une expérience intérieure qui, pour beaucoup, transite par un exercice de portrait peut-être plus près de l’expressionnisme abstrait que de toute forme de photographie. 

 

Le sauvetage du temps

Letendre, Daniel
«Fictions et Cie», Paris, Seuil, 2008
235 pages.

Le roman atteste qu'à défaut de pouvoir découvrir des filiations réelles entre soi-même et le passé, il convient d'en inventer pour rattacher le fil de son histoire à celui de gens qui nous ont précédés, à celui de l'humanité, de façon à se sentir en faire partie. Sans ces histoires anecdotiques, sans les liens imaginaires entre les différentes époques et leurs projets avortés, sans cette représentation fictionnelle du retour et de la simultanéité des temps, le réel - le présent - et l'homme qui s'y trouvent en deviennent orphelins.

 

Pierre Michon, roi et bouffon

Lepage, Mahigan

Parmi les pairs, la pose est reconnue comme telle et acceptée, voire encouragée, sourire en coin. Surtout depuis que l’arrêt a été prononcé, à l’occasion d’une émission sur les auteurs contemporains de la regrettée Qu’est-ce qu’elle dit Zazie?, il y a une dizaine d’années: «Au fond, Michon, c’est le roi!»

 

L'exploration du quotidien

Tremblay-Gaudette, Gabriel
Montréal, Drawn and Quarterly, 2006
146 pages.

Depuis l’avènement de la BD alternative dans le milieu des années 1980, on constate un glissement dans les préoccupations des artistes, plus intéressés à dépeindre leur monde réel et connu qu’à se lancer dans des délires spectaculaires. Cette tendance a atteint sa pleine expression avec Kevin Huizenga, jeune bédéiste du Michigan qui s’efforce de traduire sa réalité par le biais de son personnage Glenn Ganges, à force d’images et de mots.

 

Image: 

Crave ou la profanation d'un mutisme

Rioux, Annie
Paris, Verticales/Gallimard, 2007
196 pages.

Un plaisir coupable de lecteur devant un texte que Barthes dirait «de jouissance»: une brèche s'ouvre dans le plaisir pris à se faire raconter une histoire dont on connaît la fin, histoire sans transitivité; le plaisir pervers est consumé à même le clash de la mort répétée, du degré zéro de la lecture, du ''crave'' (titre d'une pièce clé de Kane) assouvissant. Cette perversion est ce qui rend le texte de Cathrine intéressant.

 

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