Filiation

La parole contre l’aliénation

Guillois-Cardinal, Raphaëlle
Hearst, Le Nodir, 2011
92 pages.

Toutefois, dans La guerre au ventre, Martin, l’un des fils Bédard, comprend que la fuite n’est pas la solution et qu’il doit concilier son lourd passé familial avec sa propre vie. Ici, la guerre devient le symbole du combat intérieur que livre Martin contre ses origines.

Des vertus de la rumination

Parent, Marie
Montréal, Le Quartanier, 2011
231 pages.

Il y a une vitalité dans la fiction de Bock qui s’écarte d’un discours de rejet, de répudiation du «destin» québécois. Même si on suit tout au long d’Atavismes «l’homme typique, errant, exorbité» d’Aquin, «fatigué de son identité atavique et condamné à elle», il y a chez ce sujet la soif de traquer partout les traces de son histoire, une histoire ancrée dans la mémoire du corps. Les photographies, les meubles, les amulettes anciennes trouvées au fond des boîtes servent à raconter le Québec, à en épouser complètement les formes pour mieux les repousser, les malmener. Il s’y dessine exactement le contraire d’une Culture réduite à ses effigies et à «ses envolées lyriques», telle qu’elle est critiquée dans la nouvelle «Effacer le tableau», on y perçoit plutôt toute la force d’évocation d’une culture matérielle, dont les objets les moins sacrés sont les sources infinies de fictions individuelles et collectives.

La littérature postironique, une rebelle qui vous veut du bien

Messier, William S.
Auger, Anne-Marie

Une œuvre plutôt éclectique, intitulée Réussir son hypermodernité et sauver le reste de sa vie en 25 étapes faciles de Nicolas Langelier (2010), récupère une réflexion sur l’ironie entamée chez nos voisins du sud. Or, un bref survol de la réception de l’ouvrage permet de constater que la critique accorde étonnamment peu d’importance à un aspect crucial de l’œuvre, c’est-à-dire le joug de l’ironie, voire du cynisme latent dans la plupart des expériences sociales, politiques ou artistiques de l’individu dit hypermoderne. Pourtant, on est placé dans une position particulière: l’auteur souligne abondamment la tendance du lecteur contemporain à se rabattre sur un certain deuxième degré –une espèce de décalage «surconscient» du réel– pour appréhender les faits plus ou moins dramatiques de son existence. Le choix de Langelier d’imiter la forme psycho-pop peut d’ailleurs être interprété comme faisant allusion à cette tendance. Réussir son hypermodernité a parfois l’aspect d’un livre de croissance personnelle fait sur mesure pour un lecteur qui conçoit d’emblée l’ironie comme mode premier d’expression et de représentation, un lecteur méfiant de tout ce qui ne se présente pas d’office comme ayant une posture ironique.

Double Houellebecq : littérature et art contemporain

Balint-Babos, Adina
Paris, Flammarion, 2010
428 pages.

Quiconque s’intéresse à l’art, à la littérature, ne reste pas indifférent à ces paroles: «Je veux rendre compte du monde… Je veux simplement rendre compte du monde». Insérés vers la fin de La carte et le territoire de Michel Houellebecq, ces mots de Jed Martin, l’artiste contemporain qui est également le personnage principal du roman, peuvent nous servir de fil conducteur pour une lecture à rebours et nous investir d’une mission: tenter de décrypter un dialogue entre l’art et le monde, la représentation et le réel, l’artiste et son pouvoir de créativité. Car rappelons-le: ces dialogues complémentaires ou antinomiques se trouvent au cœur du dernier texte de Houellebecq primé cette année avec le Prix Goncourt.

Un poète n'existe jamais seul

Caillé, Anne-Renée
Paris, P.O.L., 2009
121 pages.

L'Homobiographie est une forme poétique qui allie le double (le «même» du grec homos) au biographique : il est question des vies de celle que l'on nomme «La Poète», de ses alter ego, d'autres bien-aimés poètes rapportées par bribes mais aussi, de la vie plus intime d'une femme qui s'écrit dans des carnets de différentes couleurs. Dans cette tentative de dédoublement, entre autobiographie et autofiction, il faut surtout y voir l'effort de rendre protéiforme l'entreprise biographique. Comme Giraudon l'explique dans un entretien en 2007, l'homobiographie opère des «déplacements» entre les différentes «enveloppes» que constituent le soi, l'autre et la fiction. Cette forme hybride permet aussi de supporter les vies et les morts qui nous parcourent: Liliane Giraudon expose ce qui pluralise l'identité «Poète». Par filiation ou emprunt, assembler des fragments de mémoire de façon non-linéaire, coller sa vie à celle des autres; par cette abolition des frontières, la poète joue au double.

Exercice de style en dix-huit crimes

Guilet, Anaïs
Paris, Gallimard (L'arbalète), 2010
356 pages.
Le lecteur ne peut définir exactement le style de Thomas Clerc et cependant se doit de relier les modes d’écriture choisis par l’auteur aux crimes qu’il décrit. La nouvelle inaugurale est des plus troublantes en la matière. Les jeux de mots grivois, le style très oralisé, les descriptions crues, utilisés par l’auteur semblent en totale opposition avec l’univers intellectuel que l’on associe à Roland Barthes. Toute la nouvelle est focalisée à la première personne du singulier sur le futur meurtrier du célèbre essayiste.

L'impasse de l'oubli

Dionne, Charles
Montréal, Héliotrope, 2008
294 pages.

La mort s’incarne dans Le ciel de Bay City. Elle est l’invisible ennemie du combat perdu d’avance que livre Amy – le personnage principal et la narratrice – avec le passé de ses aïeux et de l’Amérique tout entière. C’est un désir d’identité qui motive l’effort d’oubli du personnage. Elle se voit imposer un passé, une condition mémorielle qui la déchire et cette commande de l’Histoire la pousse à maudire le ciel mauve de sa ville.

La première énigme

Lapeyre-Desmaison, Chantal
Meudon, Quidam, 2007
96 pages.

Lionel Bourg est de ces écrivains français contemporains qui, dans le silence, la discrétion, ont construit une œuvre déjà importante, à tous les sens du terme. Pour l'essentiel journalistiques, les rares critiques qui se sont penchés sur cette œuvre évoquent la «quête autobiographique», «la recherche du temps perdu», «la naissance à soi», axes thématiques ou formels qui apparaissent nettement à la lecture. Mais L’engendrement, ouvrage paru en 2007 aux éditions Quidam, permet de donner à cette naissance, à cette vie surgissante, une tout autre orientation.

Ces illusions de mémoire à écrire

Rioux, Annie
Lagrasse, Verdier, 2002
112 pages.

Nous avons déjà parlé de Pierre Michon ici, mais il importe de rappeler qui est l’auteur majuscule de ces fictions qui portent un regard archéologique sur le monde (avec d’autres) et qui, de ce fait, colorent d’une manière singulière le paysage francophone actuel. À mon avis nous ne parlerons jamais assez du recueil Corps du roi, dont l’originalité dépasse sans contredit la rhétorique propre à l’écriture du tombeau d’écrivain. Je propose ici une réflexion en surplomb sur les enjeux de filiation et d’imaginaire littéraire soulevés par l’œuvre de Michon, à partir du recueil qui m’a longtemps questionnée.

Le sauvetage du temps

Letendre, Daniel
«Fictions et Cie», Paris, Seuil, 2008
235 pages.

Le roman atteste qu'à défaut de pouvoir découvrir des filiations réelles entre soi-même et le passé, il convient d'en inventer pour rattacher le fil de son histoire à celui de gens qui nous ont précédés, à celui de l'humanité, de façon à se sentir en faire partie. Sans ces histoires anecdotiques, sans les liens imaginaires entre les différentes époques et leurs projets avortés, sans cette représentation fictionnelle du retour et de la simultanéité des temps, le réel - le présent - et l'homme qui s'y trouvent en deviennent orphelins.

 

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