Roman

Un roman français : un phénomène de réminiscence planifié

Gauthier, MélissaJane
Paris, Grasset, 2009
281 pages.

Un roman français est alors ponctué de résurgences diverses, de souvenirs qui réapparaissent comme des «boomerang[s] spatio-temporel[s]» (p.175). Le simple fait d’être enfermé semble permettre le retour du passé oublié, «il suffit d’être en prison et l’enfance remonte à la surface» (p.46). Même s’il affirme à de nombreuses reprises que rien ne lui revient jamais, que son enfance demeure une énigme, que ses souvenirs relèvent du domaine de l’inaccessible, le narrateur parvient à recoller les morceaux du «puzzle» (p.174). Il suffisait de le priver de sa liberté: «Tapez sur la tête d’un écrivain, il n’en sort rien. Enfermez-le, il recouvre la mémoire» (p.128).

Entretien avec Ta mère

Tremblay-Gaudette, Gabriel

Ta Mère est encore jeune, mais elle a beaucoup d'enfants. Née en 2005, la maison d'édition lancera cette année son dix-septième titre (dix-neuvième, si l'on compte les deux numéros de sa collection spéciale Ta Mère Comic). Depuis le début, Ta Mère a à coeur la diffusion d'une littérature audacieuse et originale et le développement d'une relation solide avec le lecteur. La qualité esthétique de l'objet-livre est aussi au centre de ses préoccupations, et une de ses couvertures a notamment été primée lors du concours LUX 2011. Ses livres lui ont valu des nominations, des mentions ou des prix divers dans le monde de l'édition indépendante ainsi qu'une inscription dans la liste préliminaire du Prix des libraires du Québec 2011. Ce festival de tapes dans le dos institutionnelles lui permet d'élargir toujours davantage son lectorat et son réseau de diffusion, de même que sa crédibilité auprès des recherchistes de Radio-Canada.

Autour d'une rhétorique musicale qui convoque les morts

Fontille, Brigitte

Le passé, les disparus, les morts et les absents hantent la littérature de Pascal Quignard. Avec des titres tels que Les Ombres errantes (2002), Sur le Jadis (2002), L’Enfant au visage couleur de la mort (2006) ou Pour trouver les enfers (2005), l’œuvre de Pascal Quignard foisonne çà et là de revenants, et le lecteur n’est pas surpris d’errer, au cours de sa lecture, parmi quelques fantômes. Ma réflexion se base ici sur la prémisse selon laquelle l’illusion existentielle liée au phénomène de revenance, qu’elle soit optique ou sonore, peut être utilisée comme procédé artistique; plus précisément, elle peut résulter d’une expérience artistique. Concurremment et corrélativement, le concept d’apparition, que Quignard nomme «visitation», s’enchevêtre dans la praxis musicale telle qu’éprouvée dans les œuvres de fiction quignardiennes. L’entrelacs de ces deux concepts participe de son cadre poétique. Et c’est justement cette expérience musicale du revenant que je propose de creuser en examinant tout d’abord les variations que prend le motif du revenant, les pouvoirs intrinsèques qui sont associés à la musique par l’auteur, le rôle du chaman que tient le musicien, pour finalement éclairer les mises en scène musicales qui font naître les fantômes des textes romanesques.

Une violente mélancolie

Lefort-Favreau, Julien
Paris, Seuil (Fiction & Cie), 2011
252 pages.

En effet, observateur détaché, quelque peu dandy avec ses goûts pour les alcools forts, il se livre à l’exercice quotidien de la lecture de journaux et c’est entre autres par cette lorgnette qu’il observe le monde. Comme dans ses autres livres, c’est souvent par des faits divers (par exemple: la suffocation de David Carradine par autostrangulation érotique) ou par les événements politiques du présent que Deville accède à l’histoire. Loin d’une méthode historienne rigoureuse, l’observation des mœurs de ses contemporains et ses lectures souvent inusitées le font pénétrer les rouages de l’histoire. Il y entre par la petite porte, posture édictée par son peu de foi dans la possibilité pour les écrivains d’avoir un impact sur le cours des événements.

Derrière les rideaux de scène

Côté-Fournier, Laurence
Paris, P.O.L., 2011
288 pages.

Dans Le Ravissement de Britney Spears, Jean Rolin s’intéresse à l’interprète de «…Baby, One More Time» alors qu’elle est timidement revenue sur scène et qu’elle semble avoir retrouvé une certaine forme de santé mentale, bien qu’elle soit désormais un peu plus bouffie et usée que dans sa prime jeunesse. Nous sommes en 2010, et une autre star remporte cette fois la palme du comportement le plus scandaleux: Lindsay Lohan. Ni Britney ni Lindsay ne sont toutefois les véritables héroïnes de l’intrigue, bien qu’elles occupent toutes deux une place considérable dans le roman. Le personnage principal et narrateur est plutôt un agent des services secrets français, anonyme, exilé au Tadjikistan depuis le sabordage de la mission spéciale à laquelle il participait: prévenir une tentative d’enlèvement contre Britney Spears organisée par un groupuscule islamiste radical, et couvrir de gloire la France et ses services d’information grâce à cette réussite. L’agent avait à cet effet été délégué en Californie pour amasser des renseignements sur les habitudes de la chanteuse. Or, d’emblée, rien dans cette histoire n’a de sens, et l’agent lui-même ne comprend pas quelles sont les visées exactes de sa mission.

Et si le fils Kermeur n'existait pas?

Richir, Alice
Paris, Éditions de Minuit, 2009
192 pages.

Cinquième des romans publiés par l'écrivain français Tanguy Viel, Paris-Brest retrace l'histoire d'une famille du Finistère, dont la grand-mère, qui a récemment fait fortune en épousant sur le tard un riche vieillard, est un soir victime d'un cambriolage. Les coupables ne sont autres que son petit-fils et un proche de ce dernier, constamment nommé le fils Kermeur. Ce petit-fils est aussi le narrateur du récit, qu'il nous conte tout en étant lui-même occupé à écrire ce qu'il appelle son «roman familial», soit une version plus «romanesque» (p.178) des mêmes événements. Cette seconde fiction creusée au cœur même de l'univers romanesque met en évidence les grands topoï empruntés au roman policier ou au film noir dont toute l'écriture de Viel se nourrit. Reste à découvrir ce qui se joue entre ces schèmes narratifs et leur ré-actualisation, c'est-à-dire à déterminer comment le recours à une trame actantielle éculée permet à Viel de dépasser les impasses du modèle romanesque traditionnel pour proposer une manière différente de penser le récit. Cette lecture ambitionne de trouver une réponse à cette question en se penchant sur un personnage intrigant, tant le rôle qu’il occupe au sein de l’intrigue de Paris-Brest est ambigu.

Des ailes inutiles

Brousseau, Simon
Paris, Seuil, 2012
535 pages.

Si Jauffret a le mérite d'aborder de front la négativité de l'existence contemporaine, ses façons de faire peuvent laisser perplexe. Il a développé une voix narrative qui lui est propre, une vision du monde désacralisante qui donne souvent l'impression que les relations humaines se réduisent à une mécanique égoïste. L'expérience de lecture s'accompagne d'une série de questions auxquelles on ne saurait définitivement répondre: est-ce Jauffret qui est cynique, nihiliste, pessimiste, ou bien le monde qu'il décrit? Jauffret est-il un auteur réaliste? Et quand bien même le monde serait effectivement pourri de cynisme, est-ce que la tâche de l'écrivain peut se résumer à enfoncer davantage le clou? Ne fait-il pas déjà assez froid? Cette ambivalence qui parcourt l'œuvre de Jauffret lui confère toute sa valeur.

Les mélancomiques

in
Joubert, Lucie
ou pourquoi les femmes en littérature ne font pas souvent rire

On a beaucoup glosé sur la quasi-absence des femmes humoristes sur les scènes québécoises et françaises.

Des faits et des mythes, la création de faux-authentiques chez Dan Brown

Auteur(s): 
Courant, Stéphane
Dossier Reférent: 

Dan Brown a, en quelque sorte, transformé le cadre et du coup les horizons d’attente des lecteurs. Le lecteur sait qu’il a acheté un roman et pourtant, par l’entremise des deux pages présentant «les faits», il y a une remise en question des attentes. Où est le vrai? S’agit-il seulement d’un roman historique, puisque l’auteur nous rappelle qu’il s’agit de faits «avérés», qu’ «on peut encore les admirer» (même les bâtiments du CERN) et que même la «Confrérie des Illuminati […] a aussi existé»? Le «aussi» apparaît être plus qu’un adverbe, c’est surtout l’élément qui permet de valider l’ensemble des propos comme vrai. Par cette manipulation adroite, Brown dirige son lecteur, mais surtout fabrique des faux-authentiques.

L’allégorie fantastique d’une femme-truie

in
Auteur(s): 
Lak, Zishad
Référence bibliographique: 
Paris, P.O.L., 1996
pages.
Dossier Reférent: 

La particularité du roman réside dans son succès simultanément commercial et critique. En effet, ce premier roman de Marie Darrieussecq accepté par plusieurs éditeurs prestigieuses tels que POL, Grasset et le Seuil, s’est vendu à un million d’exemplaire dans le monde et a été traduit en trente langues. En même temps, ce récit a fait l’objet d’études écrites pas plusieurs critiques littéraires. Ce double consensus découle sans aucun doute du vaste faisceau d’interprétations possibles que met en place ce roman en présentant un récit à plusieurs couches, chacune ciblant un lectorat particulier.

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