C’est un moment extrêmement émouvant que j’attends depuis longtemps: pouvoir réunir dans un même lieu ces deux cultures qui m’ont façonné. Je dirais, pour faire vite, que si Haïti reste pour l’écrivain que je suis l’émotion originelle, le Québec est devenu l’action décisive. En un mot : je suis né en Haïti, mais je suis devenu écrivain au Québec. En accompagnant ces écrivains québécois à Port-au-Prince, j’ai l’impression que ma vie n’est pas totalement une fiction. Car je remarque toujours des visages sceptiques quand je parle d’Haïti au Québec, ou quand je parle du Québec en Haïti. Vous voilà aujourd’hui l’un en face de l’autre. Québec, voici Haïti dont je vous parlais depuis si longtemps. Haïti, voici Québec où je vis depuis si longtemps. Il faut entendre le Québec littéraire : celui des écrivains, des éditeurs, et des institutions dynamiques qui soutiennent sa charpente culturelle. Ce n’est pas rien dans un pays où, comme Haïti, la culture occupe un large espace dans la formation de l’identité. J’imagine que les lecteurs et les écrivains de Port-au-Prince ou d’ailleurs, tous ces jeunes étudiants affamés de l’autre, comme je l’étais à leur âge, se demandent ce que nous sommes venus faire ici. Simplement vous rencontrer et vous dire que nous som- mes les deux seules nations qui parlent français en Amérique. Nous sommes venus aussi parce que les Haïtiens se sont installés au Québec depuis plus de soixante ans et qu’il nous tardait de vous rencontrer chez vous. Nous sommes venus aussi parce que les paysages et l’histoire de ce continent où nous som- mes arrivés tous les deux, il y a quelques siècles, dans des conditions certes différentes, nous habitent si fortement que cela facilitera, j’espère, cette première rencontre.
Dany Laferrière, extrait de la brochure Les rencontres québécoise en Haïti. 1er au 8 mai 2013, quebecedition.qc.ca
« Moi qui ne connais que la ferveur et la nostalgie des aubes et des crépuscules, qui ne recherche que la complicité des jardins et des forêts, qui ne demande à l’amour qu’un peu d’ombre mêlée à beaucoup de mots, n’est-il pas temps que je traverse ce désert qu’est le milieu du jour ? Yvon Rivard « Les Silences du corbeau »