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Étrange Hochelaga

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Étrange, l’Hochelaga.

Territoire débusqué au creux d’une pente, au moment où la vitesse à laquelle tournent les roues du vélo accélère, laissant de moins en moins de contrôle sur la direction - droit devant, vers le Sud, toujours plus au sud, toi qui viens du Nord, de beaucoup plus loin au nord.

***

Les rues défilent; Sherbrooke, Hochelaga, De Rouen, Ontario. Peu importe quel appartement tu as occupé, en quel territoire ennemi tu t’es tapie, tu ne t’éloignes jamais du métro, point lumineux qui te sert de phare. Parfois, quand tu marches, tu as encore l’impression d’être perdue même si tu refais toujours le même trajet.

Tu débarques dans son royaume, déambule dans ses rues comme si elles t’appartenaient, alors que tu n’es qu’une étrangère en terrain inconnu. Tu marches dans Hochelaga comme on pénètre une forêt dangereuse; en prêtant attention aux dangers qui pourraient surgir, en allégeant le pas pour te fondre à la faune urbaine. Des ombres passent, défilent. Le lieu est impossible à saisir dans sa totalité. Ce n’est que par fragments épars que tu arrives à avancer, à t’enfoncer plus en avant dans ce territoire impénétrable a priori.

***

Étrange lieu poursuivi depuis la fin de tes shifts, à vélo, à pied, en métro. Course effrénée, jamais un simple retour, mais bien une arrivée dans une nouvelle patrie. Tu cherchais à le rejoindre quand tu t’essoufflais sur l’avenue du Parc. Il fallait parvenir à Rachel et après c’était mieux. Atteindre Aylwin et se laisser descendre, perdre le contrôle en cours de manœuvre mais s’enivrer, s’enivrer – le fond de l’air doux, chaud, rassurant ou encore la pluie, fine, un peu froide. Puis après, quand tu travaillais tout près de la tour de la SQ (hideuse). Tu marchais rapidement sur Fullum, attrapais Ontario, filais sur De Rouen dès que l’occasion se présentait - pas très loin d’Iberville. Presque instantanément tu sentais ce point chaud dans ta poitrine s’étendre jusqu’aux extrémités de tes membres.

Étrange, l’hochelagaise.

Tu es persuadée que c’est la nuit que le quartier t’offre le flanc, pourtant tu n’arrives qu’à en longer les frontières et les murs de briques. En fait, étrange que l’on te désigne ainsi; ton exotisme ordinaire ne trompe personne.
Pourtant, je vois, j’entends, je ressens, j’y suis.

Aujourd’hui, c’est depuis l’université que tu parviens à ton cher Hochelaga. Parfois seule, parfois en groupe bien équipé – chandail chaud, bons souliers, gourde remplie, appareil-photo de qualité, carnet clairefontaine – pour discerner, à travers un amoncèlement de discours, de formes, de cris, la forme hirsute que prend Hochelaga. Je ne la distingue toujours pas mais elle me plaît quand même. On pourrait vous prendre pour la Belle et la Bête, mais on ne saurait pas à laquelle je corresponds.

Étrange Hochelaga.

Étrange, quand il quémande du jus d’orange puis disparaît. Je suis revenue de la fruiterie, j’y avais acheté deux boîtes de jus, une pour toi, une pour moi, mais tu n’étais plus là. Quand il fait la fête, danse avec passion dans les parcs avant de s’endormir, essoufflé, sous un banc. Quand dans l’asphalte on distingue des hiéroglyphes, tu vois, sur Ontario, entre Bourbonnière et Chambly, ces dessins gravés, des traces de vies anciennes, des tatouages incrustés dans son épiderme. Quand il s’exprime par messages codés, messages qui bordent les immeubles et guident mes pas.

Quand il se met à parler dans la rue, à hurler après les passants. Quand il s’hérisse de condos, de propriétés avec de hautes clôtures. Sur la rue Amyot, j’y ai vu les barricades privées qui obscurcissaient le paysage bigarré.
 
Très étrange, quand il se coupe de son Saint-Laurent et se replie sur lui-même, abandonnant ses ambitions touristiques. On ne peut même pas apercevoir les feux d’artifices de l’Île Sainte-Hélène depuis les parcs qui s’agrippent à René-Lévesque.
Oui, étrange quand il se construit un abri dans la forêt, qu’il la transforme en habitation, tu sais, oui, juste à côté du viaduc De Rouen. Tu imagines ses nuits, à regarder le ciel et à écouter grouiller la ville.

Étrange que tu puisses penser être chez toi ici. Étrange que son ambivalence plaise à la mienne. 

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