Chapitre 3. En mémoire de moi : déclinaisons de la mémoire autobiographique

Ce troisième et dernier chapitre inversera, en quelque sorte, la démarche du précédent. Avec Quimby the Mouse et Jimmy Corrigan, l’architecture constituait un point de départ. En effet, ma réflexion s’entamait généralement à partir d’une architecture remarquable (figurale ou structurante), pour ensuite observer ses effets sur l’expression narrativement explicite d’une mémoire. En contrepartie, ce troisième chapitre questionnera d’abord la place de la mémoire dans la narration. Quels sont les procédés choisis pour l’exprimer? Appartient-elle toujours à un sujet, à un je narrateur? Y aurait-il plusieurs types de mémoire? Naturellement, l’architecture étant une caractéristique sine qua non du médium de la bande dessinée, la question spatiale ne sera jamais bien loin.

 

En outre, ce chapitre veut proposer une certaine ouverture théorique de la mémoire et de l’architecture. Nous adopterons l’idée de Conway selon laquelle « [m]emory, in one form or another, enters into virtually all cognition1. » La mémoire s’étendra finalement à différents processus cognitifs intimes, comme la rêverie, le raisonnement. L’architecture subira le même type d’ouverture. De nouvelles figures (par exemple le corps humain) seront étudiées pour leurs propriétés architecturales, et mes réflexions sur la page s’étendront à l’ensemble du livre.

 

En fait de livres, les deux œuvres analysées aux cours de ce chapitre sont plus récentes que Jimmy Corrigan et Quimby the Mouse. Le premier de ces projets, intitulé Building Stories, a paru en 2012 chez Pantheon Books. Il se présente sous la forme d’une grande boîte de carton rassemblant une quinzaine bandes dessinées physiquement séparées, aux formats très variés. L’histoire est celle d’un immeuble à logements et de ses occupants, à travers le regard d’une jeune narratrice. Au moment de la rédaction de cet essai, qui était alors un mémoire, seul un des chapitres avait paru au sein de l’ANL, en 2008. C’est donc particulièrement ce chapitre – au demeurant le plus long et complexe de l’œuvre finale –  qui sera objet d’analyse dans les pages qui suivent.

 

La dernière œuvre qui nous intéressera, Rusty Brown, est encore inachevée à ce jour. Néanmoins, elle a fait l’objet d’une publication abondante : les tomes 16, 17, 19 et 20 de l’ANL lui sont consacrés. C’est le plus récent, paru en novembre 2010, qui retiendra notre attention. Intitulé Lint, ce tome condense la vie entière d’un personnage, Jordan Lint, de la naissance à la mort.

La mémoire est fondatrice dans la cognition. Loin de se limiter à un processus unique, elle se ramifie dans toutes les sphères de l’intellect.

Building Stories est le livre d'un immeuble, mais c'est aussi le livre d'une vie. 

Avec Lint, Ware montre que toute architecture, diégétique ou non, peut constituer un espace signifiant où se déploie une vision du monde.