Lorsqu’Alfred de Vigny dans ses Poèmes antiques et modernes emmène deux bonshommes contempler la vue du haut des tours de Notre-Dame, c’est un spectacle jamais vu qui s’offre à eux. L’élévation ainsi gagnée leur vaut d’embrasser le paysage du point de vue de Dieu, et cette objectivation du réel mis à distance, ce recul promeut «Paris» au rang de symbole universel. Déjà pensée comme la capitale du siècle et comme la fine pointe de la civilisation, la ville s’étale soudain sous tous ses angles – et ils sont nombreux: la ligne droite envahit l’horizon entier, signe de la formidable industrie de l’Homme, et ne demeure qu’une seule ligne courbe, celle des serpentements de la Seine, vestige unique d’une Nature sur laquelle l’humanité a bâti son empire. Mais, si la linéarité appartient ici clairement aux produits de l’homme, Vigny lui confère également valeur de singularité; car les angles et les délinéaments relèvent du singulier qu’on peut détailler, qu’on peut isoler, identifier, nommer, tandis que la courbe, les formes pleines ou la sphéricité ouvrent toutes au diffus, aux vues d’ensemble qui s’imposent à l’œil en masse et échappent à sa saisie effective. C’est à réfléchir à ces tensions géométriques que nous nous appliquerons, à l’occasion d’une communication géopoétique qui croisera le regard du géographe, le discours de l’historien et l’appréhension du poète. (Archives)
OBSERVATOIRE DE L'IMAGINAIRE CONTEMPORAIN