Le personnage chez Samuel Beckett est toujours considéré comme un cas particulier du personnage littéraire, un contre-exemple. Philippe Hamon dit qu’il est un «personnage instable», Yves Sinturel, qu’il est un «personnage déconstruit», Christine Montalbetti, un «personnage oblitéré» et Jean-Philippe Miraux, un «personnage épuré, néantisé, réduit à sa plus simple expression corporelle et psychique». On pourrait très bien décrire aussi que le personnage de Beckett est un idiot au sens du mot grec: idios, qui renvoie à un individu particulier, à un homme privé. Ne prenant pas part à l’activité politique, cet idiot devient paradoxalement l’homme vulgaire, le simple citoyen. Il est donc un représentant malgré lui d’une communauté dont il ne fait pas partie. Le narrateur de L’innommable est hors du temps et pourtant, l’histoire de la communauté continue de peser sur lui à travers le langage, outil nécessaire pour réaliser son «récit de soi». Il n’a pas le choix de continuer d’utiliser le langage. Mais l’idiot, chez Beckett, s’est exclu précisément parce qu’il redoute ce que ses mots feront de lui.