Colloque
Université du Québec à Montréal

Idiots, figures et personnages liminaires

Jeudi 28 Octobre 2010 - Vendredi 29 Octobre 2010

L’idios grec désigne le citoyen ordinaire (celui qui n’est pas un homme public, un magistrat). Il est le sujet particulier, singulier. L’idiotus latin, quant à lui, est un homme sans instruction, ignorant. Derrière lui, le sot se cache.

L’idiot est une figure plurielle et elle doit être saisie dans l’ensemble de ses actualisations historiques et culturelles. Chaque culture, nous expliquent Mauron et de Ribaupierre, «investit l’idiotie à sa manière comme ce qui lui est étranger. Si bien qu’une culture ne se révèle jamais mieux que dans la conception et l’image qu’elle se fait de l’idiot.» (Les Figures de l’idiot, Editions Léo Scheer, 2004, p.13)

L’idiot, c’est l’autre; c’est peut-être surtout l’étrangement, le drôlement… proche. Si la culture se révèle dans ses représentations littéraires et artistiques, il y a un intérêt à reprendre ces questions en les ramenant à l’échelle précise des oeuvres et à étudier l’idiot comme personnage, dans ses rôles et ses fonctions, dans ses implications sur les lecteurs et les spectateurs, ainsi que sur les auteurs et les artistes.

L’idiot peut être considéré comme le premier exemple d’une typologie qui compte certaines figures d’homme/enfant sauvage, de vieille fille ou vieux garçon, de criminel, de saint, de prophète, d’illuminé et de poète. Ces figures constituent des personnages liminaires dont la fonction première est de servir de témoins dans le personnel des oeuvres, placés au degré ultime sur l’échelle du ratage initiatique. Leur ambivalence constitutive les met souvent dans une relation de proximité avec l’au delà ou l’en deçà de la culture (la mort, la folie, la sauvagerie, etc.) et les fait devenir des médiateurs ou des passeurs.

C’est à la pensée et à la construction de cette catégorie de personnages que le colloque est consacré.

 

Programme du colloque

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Organisation du colloque

Véronique Cnockaert est directrice de FIGURA, le Centre de recherche sur le texte et l’imaginaire. Elle est professeure au Département d’Études littéraires de l’Université du Québec à Montréal et co-fondatrice du LEAL (UQAM/Figura). Spécialiste de l’œuvre de Zola et du Naturalisme, elle a commenté Au Bonheur des Dames, dans la collection Foliothèque chez Gallimard en 2007, elle a publié Émile Zola. Les Inachevés. Une poétique de l’adolescence aux Éditions XYZ / Presses universitaires de Vincennes en 2003; elle a aussi dirigé les Actes du colloque Émile Zola. Mémoire et Sensations aux Éditions XYZ en 2008. Elle s’intéresse également aux rapports entre littérature et anthropologie. Elle a publié en collaboration avec Marie Scarpa et Jean-Marie Privat (univ. Paul-Verlaine de Metz) Anthologie de l’ethnocritique (Presses universitaires de Québec, collection «Approches de l’imaginaire», sous la dir. de Rachel Bouvet & Bertrand Gervais, 2011).

Bertrand Gervais est chercheur régulier de FIGURA, le Centre de recherche sur le texte et l’imaginaire. Il a été directeur du Centre de 1999 à 2015. Il est directeur du NT2, le Laboratoire de recherche sur les arts et les littératures hypermédiatiques. Il fait partie du programme de recherche interdisciplinaire RADICAL (Repères pour une articulation des dimensions culturelles, artistiques et littéraires de l'imaginaire contemporain). Il est professeur titulaire et enseigne au Département d'études littéraires de l'Université du Québec à Montréal. Il s’intéresse au roman américain contemporain, aux nouvelles formes fictionnelles, de même qu’aux théories sur l’imaginaire et ses figures. Il a publié des essais sur la lecture, la littérature américaine et l’imaginaire, de même que des romans, récits et nouvelles. Ses plus récents titres sont:La ligne brisée. Labyrinthe, oubli et violence. Logiques de l’imaginaire. Tome II (2008); Figures, lectures. Logiques de l’imaginaire. Tome I (2007); La mort de J. R. Berger, roman (2009); Le maître du Château rouge, roman (2008); L’île des Pas perdus, roman (2007).

Marie Scarpa est maître de conférence à l'Université Paul Verlaine-Metz.

Pour citer ce document:
Gervais, Bertrand et Marie Scarpa, (org.). 2010. Idiots, figures et personnages liminaires. Colloque organisé par Figura, Centre de recherche sur le texte et l'imaginaire. Montréal, Université du Québec à Montréal, 28 et 29 octobre 2010. Documents vidéos. En ligne sur le site de l’Observatoire de l’imaginaire contemporain. <https://oic.uqam.ca/fr/evenements/idiots-figures-et-personnages-liminaires>. Consulté le 1 mai 2023.

L’Enfantine dans «Lourdes» d’Émile Zola

Cette étude a entrepris d’analyser la vision de Bernadette Soubirous dans le roman Lourdes (1894) d’Émile Zola pour saisir comment le romancier représente les images mentales d’une simple d’esprit. Malgré le fait que l’écrivain considère l’outillage mental de l’enfantine comme limité, la voyante s’avère porteuse d’une mémoire et d’un savoir culturels: elle recompose, par son hallucination, le terreau archaïque de sa communauté.

L'idiot de la famille? Comment l'autiste change les règles du jeu

L’autiste oblige à penser les frontières de la normalité. On prend parfois pour un idiot (au sens latin), celui qui est d’abord un sujet singulier (au sens grec, cette fois), à peine différent en apparence et qui agit comme s’il était notre double situé derrière une vitre translucide. En littérature, c’est souvent lorsque le cas n’est pas diagnostiqué (qu’il ne se présente pas comme un «cas», justement) qu’il apparaît le plus intéressant, car à ce moment le texte en devient d’autant plus étrange.

Il était une fois une jeune fille, sa chèvre et son petit soulier. La Esmeralda et la douce idiotie de l'enfance

Partant d’une réflexion sur la candeur naïve qui caractérise la Esmeralda dans Notre-Dame de Paris de Victor Hugo, nous nous penchons sur la manière dont ce personnage incarne la figure de l’idiot, telle que perçue dans une perspective anthropologique. Soit comme expression d’un dérèglement à comprendre au sens de «sot», de «niais» ou de «bêta», et qui serait le résultat d’une incomplétude ou d’un manquement plaçant l’idiot en dehors d’une norme —en l’occurrence ici la norme sociale.

Bouvard, Pécuchet et le «Garçon» sur «un plateau stupide» de Normandie ou Flaubert dans tous ses états liminaires

Du canal Saint-Martin qui ouvre le roman «farce» de Flaubert à Chavignoles, ce Clochemerle avant la lettre, le retrait studieux des deux compères s’inscrit expressément dans un cadre géographique dont la découverte du modèle, qualifié de «stupide» par le maître, sert littéralement de déclencheur à l’œuvre.

«Nous sommes des enfants d'une façon générale» Ernesto et Qohelet: figures du savoir infantile

On n’a pas souvent parlé du comique de Marguerite Duras. Il faut dire pourtant que La pluie d’été est d’un drôle assez singulier, assez irrésistible. Le comique de ce petit livre repose d’ailleurs sur le statut bien particulier des personnages dont le principal est Ernesto, fils aîné de la famille qui est un enfant «entre douze et vingt ans», un «enfant de quarante ans de philosophie». Ernesto ne sait pas lire, ne sait pas son âge, il sait seulement son nom. Mais la découverte d’un livre brûlé au chalumeau et troué en son centre, le plonge dans une phase de silence.

L'extravagant et le roman. Lysis dans «Le Berger extravagant» de Charles Sorel (1627-1634)

Si l’idiot désigne par sa trajectoire déviante au sein de la société qui l’abrite et le rejette tout à la fois un mode d’initiation à la littérature qui le narre, nul doute que le Berger extravagant inventé par Charles Sorel en 1627 dans le roman ainsi intitulé en constitue une des figures intéressantes, non pas tant parce qu’il manifeste une innocence qui confine à la stupidité, que parce qu’il tourne obstinément le dos à l’assomption dans la collectivité pour s’installer à la marge, sur les seuils du récit et de la vie: il est, selon l’étymologie même de l’adjectif

Valentin et Orson, figures duelles de l'idiotie et de la sainteté

À partir de Valentin et Orson, roman publié en 1489, je me propose de présenter une série de figures d’idiot qui traversent la littérature médiévale et la culture qui la sous-tend. Le choix de ce texte se justifie à deux titres. Paru à la fin du Moyen Âge, il conjugue les traditions narratives médiévales (roman, épopée, hagiographie) dans une combinatoire de motifs en cours de folklorisation. Ses liens avec le conte expliquent en partie son succès jusqu’au XVIIIe siècle dans les livrets de colportage de la Bibliothèque Bleue.

Lee Maracle et la figure redoublée de l'idiot: Ravensong

Dans le contexte canadien actuel, sous le sceau du colonialisme qui le marque encore, la littérature amérindienne a ceci de particulier de se présenter d’emblée idiote. Son discours, en effet, met le plus souvent en scène des personnages et des contextes de sens que le citoyen blanc, Euro-américain, recevra le plus souvent et nécessairement comme autre. Pourtant, la littérature amérindienne contemporaine se joue bien de cet état de fait pour présenter ses œuvres dans ses propres langages. Elle récupèrera alors la fonction «idiotique» pour en faire sa principale force.

Personnages liminaires dans le théâtre de Bernard-Marie Koltès

En 20 ans, Koltès, le dramaturge français contemporain le plus joué au monde est devenu un «classique» et ses personnages, depuis le premier grand livre à lui consacré, celui d’A. Ubersfeld en 1999, ont fait l’objet de multiples analyses: incomplets, inachevés, marginaux, ils ne cessent d’échafauder au fond des transactions impossibles.

Pour une épistémologie idiote

Une épistémologie idiote exige une prise de position quant au savoir et aux règles qui régissent ce savoir. Penser ici, pensée d'ici, cela veut notamment dire penser sans la légitimation-sanction des métropoles et sans que ces lieux communs du savoir académique viennent en quelque sorte se mettre en travers d'une tentative de penser le monde tel qu'il se donne à voir ici et maintenant.

L'idiot en souverain. Figure de l'oubli et du politique dans «Oublier Elena» d'Edmund White

"Le roi est mort, vive le roi!" Soit. L'adage ne surprend plus personne. Mais qui est le roi? Que sait-il? Comprend-t-il dans quelle situation il se trouve plongé et quelle tâche l'attend? Et s'il fallait que le roi soit un idiot, un être dépourvu de connaissance et de raison, un de ces êtres dont on peut dire qu'il est avant tout constitué d'un manque, d'une absence.