Table ronde
Université Concordia

Traduction, altérité et résistance dans le contexte colonial canadien

Mardi 8 Décembre 2015

 

Présentation de l'atelier

Le chantier TRADUIRE LES HUMANITÉS et l’antenne Figura de l’Université Concordia ont organisé l'atelier Traduction, altérité et résistance dans le contexte colonial canadien, qui s'est tenu le 8 décembre 2015.

Au Canada, la traduction est souvent conçue, enseignée et comprise comme la pratique d’un transfert culturel entre deux «solitudes» culturelles et linguistiques. Pourtant, plus de 60 langues autochtones existent actuellement à travers le territoire. Selon les données de Statistiques Canada, seulement trois de ces langues – le cri, l’ojibwé et l’inuktitut — ont des chances de survie au-delà des 50 prochaines années avec le niveau de financement actuel (Statistique Canada, recensements de 1996 et 2001). Cette menace d’effacement de la présence autochtone et la violence coloniale qui la sous-tend s’inscrit dans la logique historique du mouvement de colonisation européenne des Amériques. De fait, Patrick Wolfe soutient dans Settler Colonialism and the Transformation of Anthropology (1999) que depuis l’arrivée des Européens en Amérique, les pouvoirs coloniaux, de concert avec les pouvoirs religieux, ont employé un ensemble de stratégies pour procéder à l’effacement de la présence autochtone au profit de la société coloniale. La sémiologue Barbara Godard (Writing Between Cultures, 1997) constate que ces diverses stratégies, allant de la traduction de la part des missionnaires traducteurs aux pensionnats autochtones, ont donné lieu à un rapport de force asymétrique entre les langues dominantes (coloniales) et les langues minoritaires (autochtones). L’histoire de la traduction telle qu’elle est enseignée aujourd’hui dans le cadre universitaire canadien suppose que la traduction crée une voie de communication entre les différentes langues, aussi bien majoritaires que minoritaires. Or, dans le contexte canadien de bilinguisme officiel et vu le statut minoritaire des langues autochtones, on constate plutôt qu’au lieu de contribuer à la promotion de la variété et de la richesse des langues, la traduction a participé au contraire à leur amenuisement. C’est précisément cette réduction qui témoigne que l’histoire de la traduction a un parti pris dans le projet colonial.

Ainsi, seules les deux langues dites «fondatrices» de l’État colonial sont reconnues officiellement. La juriste et intellectuelle autochtone Mary Ellen Turpel remet en cause cette «illusion hégémonique» qui prétend que la souveraineté de l’État canadien se fonde sur deux cultures d’origines européennes (Canadian Human Rights Yearbook, 1989-1990). Dans ce contexte, nous voulons nous pencher sur comment la résistance intellectuelle, linguistique et culturelle s’articule face à la socitété coloniale et ses structures de pouvoir.

Compte tenu du statut dominant des langues française et anglaise dans le contexte canadien, la discipline de la traductologie tend à se limiter à l’étude d’une altérité entre deux langues, deux cultures et deux épistémologies issues d’une tradition européenne commune. Mais la traduction est-elle en mesure de nous permettre de percevoir les différences culturelles dans un tel contexte de colonialisation de peuplement? Le chantier s’offre comme espace de réflexion de la traduction à partir de son rôle historique dans le projet colonial jusqu’à son potentiel actuel pour faciliter les transferts culturels dans un rapport à la différence qui se fonde dans un besoin de partage culturel plutôt que l’imposition culturelle et linguistique par la force.

Ainsi, nous désirons étudier les rapports de légitimité entre les langues coloniales et les langues autochtones ainsi que leur usage dans les œuvres littéraires et théâtrales, ainsi que dans les écrits dans les sciences humaines et sociales. L’emploi de l’anglais ou du français en plus de langues autochtones par les intellectuels et artistes autochtones fait également surgir la notion d’hybridité linguistique et culturelle et renvoie à des questionnements quant à l’emploi de langues dominantes pour exprimer des discours marginalisés. Aussi, nous viserons à faire une analyse critique de la notion de «langues en voie de disparition», car bien que la plupart des langues autochtones ne possèdent pas de statut officiel au sein de l’État canadien, force est de reconnaître qu’il existe un robuste mouvement de revitalisation de celles-ci. Enfin, nous aborderons le rapport entre la tradition culturelle orale et la tradition écrite et comment la traduction participe à ce transfert.

 

Programme de l'atelier

Cliquez sur le titre d'une communication pour accéder à l'archive audio.

Daniel Salée (Sciences politiques, Concordia). «L’État colonial: une perspective politique»

Françoise Naudillon (Études littéraires, Concordia). «Le créole en résistance. L’écriture de Patrick Chamoiseau»

René Lemieux (Sémiologie, UQAM) «Le traité de Waitangi: traduire la souveraineté entre les langues» [Communication non-disponible]

Sherry Simon (Traductologie, Concordia) «Le projet “Translation Effects” et la traduction des langues autochtones»

 

Organisation de l'atelier

Pier-Pascale Boulanger est chercheure régulière à FIGURA, le Centre de recherche sur le texte et l’imaginaire. Elle est professeure agrégée au Département d’études françaises de l’Université Concordia, où elle enseigne la traduction commerciale, juridique et littéraire. Dans le cadre de ses recherches en traduction littéraire, elle a traduit l’essai Éthique et politique du traduire (2007) de Henri Meschonnic en 2011, sous le titre Ethics and Politics of Translating, chez John Benjamins Publishing Company. Quant à ses travaux en traduction financière, elle s’occupe actuellement de créer l’Observatoire du discours financier en traduction (Odft), site web réunissant des articles d’économie et de finance parus dans les journaux canadiens depuis 2000 et dont le corpus bilingue fait l’objet d’analyses discursives critiques.

Karina Chagnon est doctorante en sémiologie à l'Université du Québec à Montréal. Elle a complété en 2014 une maîtrise en traductologie à l'Université Concordia sous la direction de Pier-Pascale Boulanger. Son mémoire s'intitule «La traduction française du discours queer dans les séries télévisées Queer as Folk et The L Word: Les enjeux politiques de la réception».

 

Pour citer ce document:
Boulanger, Pier-Pascale et Karina Chagnon, (org.). 2015. Traduction, altérité et résistance dans le contexte colonial canadien. Table ronde organisée par Figura-NT2 Concordia. Montréal, Université Concordia, 8 décembre 2015. Document vidéo. En ligne sur le site de l’Observatoire de l’imaginaire contemporain. <https://oic.uqam.ca/fr/evenements/traduction-alterite-et-resistance-dans-le-contexte-colonial-canadien>. Consulté le 1 mai 2023.

Le projet «Translation Effects» et la traduction des langues autochtones

Sherry Simon présente son projet Translation Effects.

«Il s’agit d’un projet à l’infini, d’une perspective sur le rôle de la traduction au Canada et surtout des pratiques de la traduction dans ses rapports à la culture autochtone. 

S’il est important de faire lien entre le politique et le culturel et s’il est important de dessiner une carte de plus en plus englobante de la traduction au Canada, il est surtout important de complexifier le vocabulaire qu’on utilise pour en parler.»

Le créole en résistance. L’écriture de Patrick Chamoiseau

Patrick Chamoiseau écrit en français, jouant de plusieurs techniques de traduction du créole. Le créole des oeuvres de Chamoiseau est le créole de la Martinique (qui n’est pas exactement le créole de la Guadeloupe ou le créole d’Haïti). Avec les Antilles et la Caraïbe en général, on a affaire à des autochtones diasporisés, si je puis dire, puisqu’ils sont arrivés, ces descendants d’esclaves, en même temps que les Blancs, que les populations dites autochtones de la Caraïbe ont été très vite décimées. Très rares sont les familles qui sont encore de cette histoire de génocide.