Entretien avec Les Éditions David
Afin d'aborder la rentrée littéraire automnale, Salon Double a mené une série d'entretiens avec plusieurs éditeurs afin de découvrir leur historique, leurs politiques éditoriales et leurs vues plus larges sur la littérature contemporaine. La série se poursuit par un entretien avec Les Éditions David. Marc Haentjens a accepté de répondre à nos questions.
Les Éditions David sont une maison d’édition littéraire établie à Ottawa depuis 1993. La maison publie des textes de création (romans, nouvelles, poésie) ainsi que des études et essais traitant de la littérature canadienne-française. La maison accueille en priorité des auteurs francophones de l’Ontario mais aussi des auteurs d’autres régions du Canada. Son catalogue compte aujourd’hui près de 250 titres, répartis à travers huit collections.
Les œuvres de création représentent le volet le plus porteur de la maison d’édition avec cinq collections principales:
- trois collections de prose: la collection Voix narratives, composée de romans, nouvelles et récits, la collection Indociles, ouverte à des romans de facture plus contemporaine, et la collection 14/18 dirigée vers le public adolescent (14 ans et plus);
- deux collections de poésie: la collection Voix intérieures, ouverte à des textes de poésie actuelle, et la collection Voix intérieures –Haïku, une collection de «niche» dédiée spécifiquement à la publication de textes liés à ce genre poétique (dans ses différentes variations: haïku, renku et, récemment, haïbun).
Les ouvrages de réflexion continuent néanmoins d’alimenter quelques collections axées sur la connaissance et l’étude de la littérature francophone au Canada: la collection Voix savantes, réunissant des études et des essais collectifs, la collection Voix retrouvées, accueillant des éditions critiques de textes anciens ou oubliés, et la collection Voix didactiques consacrée à des auteurs de littérature jeunesse.
À travers ce programme, la maison d’édition veut contribuer à l’expression d’une littérature originale qui reflète les diverses réalités de la francophonie canadienne. Elle souhaite aussi développer un lectorat –et un lectorat critique– susceptibles d’apprécier et de suivre cette littérature.
Brigitte Fontille [BF] – Qu’est-ce qui a motivé la décision de fonder une nouvelle maison d’édition? Est-ce que vous sentez que votre maison d’édition a permis de combler un manque dans la scène littéraire contemporaine? Qu’est-ce qui a motivé la création de la collection «Indociles»?
Marc Haentjens [MH] – Les Éditions David ont été fondées par Yvon Malette en 1993. La motivation souvent invoquée par Yvon était de publier sa thèse de doctorat -une étude sur Gabrielle Roy- que plusieurs maisons d'édition tardaient à accepter. En réalité, plusieurs collègues dans son entourage (Yvon enseignait alors à l'Université d'Ottawa et au Cégep de l'Outaouais) se montraient intéressés à voir naître dans la région une maison avec un profil littéraire au sein de laquelle ils pourraient publier ou collaborer.
De fait, la maison a rapidement reçu de nombreuses propositions et, après seulement quelques années, elle publiait en même temps des études littéraires, des romans, des nouvelles et de la poésie. Elle se donnait aussi plusieurs directeurs de collection formant, autour d'Yvon Malette, une équipe éditoriale solide. À son quinzième anniversaire (2008), la maison franchissait la barre des 200 titres, avec une réputation acquise dans le milieu littéraire et universitaire.
Le changement de direction, en 2009, a légèrement infléchi l'orientation éditoriale de la maison. Me distançant un peu du milieu universitaire, j'ai surtout cherché depuis quelques années à accentuer la place de la maison dans la vie littéraire environnante, en Ontario notamment. Cela a d'abord conduit à développer une collection pour adolescents, la collection 14/18, qui venait à peine de naître à mon arrivée, et à lui donner une place centrale dans le catalogue; puis à créer, en 2011, une nouvelle collection de romans, la collection Indociles, ouverte à de jeunes auteurs et à des textes de facture plus contemporaine.
[BF] – Quelle politique éditoriale vous êtes-vous donnée, quelle ligne directrice ou vision de la littérature vous oriente? Est-ce que votre politique éditoriale a changé depuis le début de vos activités?
[MH] – Plusieurs lignes directrices orientent les Éditions David depuis leur création en 1993. Je dirais: un intérêt marqué pour la langue et la littérature, un souci d'excellence et une ouverture à la francophonie canadienne, dans ses différentes manifestations régionales. Ces lignes n'ont pas fondamentalement changé au fil des ans.
S'y sont cependant ajoutées ces dernières années quelques autres préoccupations: le dépistage de nouveaux auteurs, un enracinement (ou un ancrage) plus profond en Ontario français et une volonté de développement du lectorat, particulièrement chez les jeunes.
[BF] – Qu’est-ce qui vous intéresse dans une écriture ou un projet, vous amène à choisir un texte en particulier parmi les manuscrits que vous recevez? Notamment pour la collection «Indociles».
[MH] – Notre intérêt pour un manuscrit varie évidemment selon les collections. Pour notre collection Voix narratives (romans, nouvelles), l'intérêt et la portée de l'histoire viennent sans doute en premier, suivis de près par la qualité de l'écriture. Travaillant dans un contexte minoritaire, nous sommes toutefois plus portés à accepter des œuvres imparfaites que nous le serions dans un autre contexte, ce qui signifie, bien sûr, d'investir davantage dans un travail d'édition.
Pour notre collection Indociles, c'est beaucoup plus le propos, le style ou le ton qui nous intéressent, de même que la nature du commentaire porté sur la société. Nous souhaitons aussi avec cette collection nous permettre d'accueillir de nouveaux auteurs. Enfin, nous sommes concernés par l'accueil que pourrait recevoir l'œuvre chez un lectorat plus jeune.
[BF] – Je trouve particulièrement intéressant qu’une des orientations de la collection sur la poésie porte sur le haïku, forme très codifiée. Pourriez-vous nous parlez de l’intérêt que les Éditions David ont manifesté envers cette forme poétique peu commune et qui n’est pas d’ici?
[MH] – La collection Voix intérieures –Haïku est née aux Éditions David sous l'impulsion de quelques auteurs (Francine Chicoine, André Duhaime, Jeanne Painchaud...) intéressés par cette forme poétique et désireux de la diffuser plus largement au Québec et au Canada. La réalisation de plusieurs recueils collectifs (comme Dire le Nord, Dire la faune, Dire la flore), puis l'institution d'un camp littéraire annuel axé sur le haïku à Baie-Comeau ont alors contribué à développer un vaste réseau de haïkistes qui nourrissent aujourd'hui le catalogue de la collection. Avec tout près de 60 titres publiés, celle-ci représente aujourd'hui une collection unique, au Canada et même au sein de la francophonie. Elle ne cesse par ailleurs de s'enrichir de nouveaux auteurs, mais aussi de nouvelles formes, comme le renku (dialogue entre deux haïkistes) et le haïbun (combinaison de prose et de haïku).
[BF] – Comment peut-on assurer sa diffusion et sa survie quand on est un «petit» joueur dans le monde de l’édition, où quelques groupes d’éditeurs, notamment québécois, obtiennent pratiquement toute la visibilité, tant en librairie que dans les médias? Quel rôle joue le numérique dans votre stratégie de commerce?
[MH] – La diffusion reste évidemment un enjeu de taille. Nous trouvant, par notre taille et notre situation géographique, dans la périphérie de l'industrie du livre, nous devons travailler deux fois plus fort pour réussir à intéresser les médias, les libraires et les autres intervenants de la chaîne du livre. Nous n'y réussissons pas autant que nous l'aimerions, mais nous gagnons quand même notre place et nous réalisons, de temps en temps, quelques bons coups.
Le numérique apparaît, dans ce contexte, comme une occasion à saisir. Bien qu'il obéisse lui aussi à des intérêts commerciaux dominants (qu'on pense à Amazon ou à Archambault), il est encore en friche et permet, de ce fait, de se démarquer un peu plus. C'est pourquoi, d'ailleurs, plusieurs maisons d'édition francophones hors Québec (dont la nôtre) sont déjà bien positionnées sur ce marché.
[BF] – En tant que maison d’édition francophone située hors du Québec, pensez-vous que la réalité montréalaise éclipse celle du reste de la francophonie canadienne, tant dans le circuit littéraire que dans les œuvres qui sont publiées actuellement?
[MH] – Il est en effet très difficile d'être inclus ou considéré dans le milieu littéraire québécois quand on est situé à l'extérieur de Montréal (et de Québec). Cette réalité, qui vaut sans doute pour les éditeurs québécois établis «en région», est encore plus sensible pour les éditeurs franco-canadiens qui souffrent en outre d'être perçus –et classés par de nombreux acteurs du livre– comme des éditeurs «étrangers».
Pratiquement, cela se traduit par une très grande difficulté à obtenir l'attention des médias, à être invité dans des événements littéraires ou des salons du livre et à obtenir une présence en librairie. Trois conditions presque incontournables pour réussir à intéresser un public lecteur.
[BF] – On a le sentiment que le milieu littéraire francophone hors Québec est exigu, et encore plus réduit quand on se concentre sur ceux qui s’éloignent de pratiques littéraires à vocation commerciale et optent pour une vision plus rigoureuse, plus audacieuse de l’écriture. Quelle importance a la communauté, celle des auteurs, des autres éditeurs, des libraires, pour vous?
[MH] – Le milieu du livre est avant tout un écosystème où tous les acteurs sont liés et interdépendants. L'éditeur n'existe qu'à travers des auteurs, mais aussi, pour la diffusion de ses livres, à travers des libraires, des critiques littéraires, des professeurs de littérature, des bibliothécaires, des événements littéraires, des plateformes médiatiques, etc. Or, c'est un fait que cet écosystème est (beaucoup) moins complet dans la francophonie canadienne qu'il ne l'est au Québec et, particulièrement, dans les principales métropoles québécoises.
Beaucoup d'énergie est donc mise, dans nos milieux, pour réunir ou aller chercher tous les intervenants en présence et s'efforcer de créer un effet dynamique autour des livres, des auteurs et de la littérature. L'effervescence qu'on peut ressentir dans certains salons du livre, comme ceux de Sudbury, de Hearst, de Toronto (en Ontario), de Shippagan ou de Dieppe (au Nouveau-Brunswick), témoigne de cette cohésion.
[BF] – Quels sont vos coup de cœur et coup de gueule du moment, par rapport à la situation littéraire ou aux derniers événements littéraires dans la francophonie canadienne?
[MH] – Le développement de l'édition –et de l'écosystème littéraire– est dans la francophonie canadienne une œuvre de longue haleine. On ne pense donc pas tellement en termes de coups de cœur ou de coups de gueule, mais plutôt en termes de consolidation et de durée.
À cet égard, on peut se féliciter de voir comment certaines de nos maisons d'édition ont réussi au fil des ans à se tailler une place dans le milieu du livre. On peut également se réjouir de voir notre bassin d'auteurs s'élargir et se renouveler, en nous apportant des textes d'une diversité et d'une qualité littéraire de plus en plus grandes. Enfin, on peut s'enthousiasmer devant la réaction du public lecteur devant certaines de nos publications.
En revanche, il faut malheureusement assumer que ce soit toujours aussi difficile de convaincre les principaux décideurs de la chaîne du livre -à tous les niveaux- de notre bien-fondé. Mais ça, c'est le lot, il faut croire, de nos structures petites et périphériques...
Ajouter un commentaire