«Le 14 juin 1940, quand l’on vit les régiments allemands occuper Paris, quelques-uns des hommes qui étaient restés, par attachement à la ville, par devoir, ou par humeur sédentaire, cherchèrent à quel opium ils demanderaient l’atténuation, sans doute illusoire, de leur douleur. Nous choisîmes d’étudier une existence que nul n’avait encore entrepris de conter et où l’on trouve, pour se réconcilier avec la vie et certains prestiges français, d’extraordinaires vertus.» Ainsi s’ouvre Vie de Mallarmé d’Henri Mondor, qui inaugure, à travers le souvenir de la Wermacht envahissant les rues de la capitale française, le destin politique du poète dans un siècle qui n’est pas le sien. Le 16 avril 1941, dans sa toute première chronique littéraire du Journal des Débats, Maurice Blanchot y fait référence. Après avoir évoqué «les peuples meurtris» qui «cherchent, notamment dans les livres, même difficiles, une explication de ce qu’ils sont», Blanchot souligne la consolation que peut apporter à ses compatriotes cette somme biographique: «C’est aujourd’hui pour l’esprit une facile mais agréable revanche que de contempler un homme qui dans une complète et obscure solitude sut dominer le monde par l’exercice d’un pouvoir d’expression absolu.» Blanchot sait gré à Mondor d’avoir «rassemblé les documents les plus précis, les témoignages les plus inattendus, les lettres les plus rares» et d’être parvenu, pour ainsi dire contre Sainte-Beuve, à ce que «la biographie elle-même ne cache pas l’oeuvre.» Mais il ne retient pas moins du biographe l’invitation à considérer l’oeuvre de Mallarmé comme une parcelle de la France libre, étrangement soustraite à la botte allemande. Si Mallarmé incarne «l’orgueil littéraire» de la France, explique Blanchot dans une chronique datée du 26 mai 1941, c’est que sa poésie s’inscrit dans une tradition pérenne, qui s’étend «de Maurice Scève à Paul Éluard», qui associe souverainement «le souci de dominer l’univers des mots au souci de se soumettre par cette domination même l’univers réel». La tentation de trouver dans la grandeur littéraire de la France une compensation à l’humiliation infligée par l’Allemagne est monnaie courante au lendemain de la défaite. Dans Les Temps modernes, Jean-Paul Sartre se souviendra de ceux qui, nombreux sous l’Occupation, s’attachèrent au prestige inentamé de la littérature: «Ils ne cessent de souhaiter en leur coeur que la France redevienne le pays de Turenne et de Bonaparte, mais pour assurer l’intérim, ils se rabattent sur Rimbaud ou Valéry.»
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Cet article a d'abord été publié en tant que chapitre de l'ouvrage dirigé par Éric Hoppenot et Dominique Rabaté, Maurice Blanchot, paru aux Éditions L'Herne (Paris) dans la collection «Cahiers de l'Herne» en 2014.
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