Art - Littérature - Internet

(Source: Jean-Pierre Balpe dans HyperFiction)

Fred Forest, qui est un des artistes novateurs sur Internet, vient de signer avec le musée d’art contemporain de Sao Paulo, la première exposition d’art virtuelle. Toute personne qui se considère comme artiste et qui a eu connaissance de l’adresse pouvait envoyer autant d’œuvres qu’il le désirait : images, vidéos, musiques, textes, (BIENNALE SAO PAOLO) La moisson est bien sûr considérable et l’on y trouve de tout. Certains diront que c’est n’importe quoi; d’une part je n’en suis pas sûr, d’autre part je crois que ce que signe une telle démarche c’est la transformation radicale de la conception de l’art à l’époque d’Internet. Yves Michaux (qui a dirigé un temps l’École Nationale des Beaux-Arts à Paris) est peut-être le philosophe qui est le plus lucide là-dessus: l’art est désormais l’affaire de tout un chacun et chacun revendique le droit à être artiste. Ce changement idéologique profond pose, bien entendu, à l’art, et à son acceptation collective, des quantités de problèmes qui vont de l’économique au pédagogique mais il est en route et l’ignorer n’y changera rien. Les musées les plus novateurs essaient de s’y adapter, chacun avec sa propre approche. C’est ce que fait aussi le Centre International d’art contemporain de Montréal, le CIAC, notamment au travers de son magazine qui se consacre à l’art Internet: Magazine électronique du CIAC et notamment, ce qui est remarquable pour un Centre d’art à la littérature Internet. La démarche y est plus classique, plus «éditoriale» mais elle participe de la prise en compte des évolutions comme l’achat de sites internet par le Guggenheim. Il va falloir s’y faire. A quand un vrai Centre Georges Pompidou virtuel?

Cette incursion dans le domaine de l’art terminée (mais avec le multimédia et comme le démontre le CIAC, la classique séparation des beaux arts devient une stupidité), je me suis intéressé de près à Google Books (Adelen - Google Recherche de Livres).

Comme vous en avez certainement entendu parler, Google tente d’acheter et de numériser la plupart des fonds de bibliothèques pour créer une vaste archive numérique en ligne. Celle-ci comprendrait déjà plusieurs centaines de milliers d’ouvrage. Je me suis donc intéressé de plus près au « cœur de cible » —comme disent les hommes d’argent — de notre revue, c’est-à-dire la poésie et me suis mis dans la peau d’un chercheur qui s’intéresserait à nos auteurs. Pour cela j’ai pratiqué des demandes un peu au hasard. Résultats :

36 références pour Claude Adelen
39 pour Yves Boudier
93 pour Bruno Cany
178 pour Henri Deluy
etc.

Rappelons qu’il s’agit de livres et non, comme dans le moteur de recherche Google de citations de nom ou d’approximations (par exemple pour Henri Deluy, Google renvoie 25 000 présences possibles). Si l’on y regarde de plus près, il y a quelques pertes comme toujours dans les moteurs de recherche qui ne savent pas être intelligents : par exemple on trouve cité un ouvrage de 1970 qui est une reprise du dix-septième siècle dans lequel le scannage en mode image fait apparaître un « de luy » comme « deluy » mais dans l’ensemble les résultats sont intéressants. Je peux y trouver en intégralité des textes d’accès peu facile comme cet « The French and Italian communist parties » de Cyrille Guiat publié en Grande-Bretagne par Routledge en 2003 où figure un article d’Henri Deluy intitulé « Ideology and clientelism of the PCF in Ivry-sur-Seine ». Cependant comme il s’agit là d’auteurs vivants, la présence de textes intégraux est limitée par le droit d’auteur mais Google donne toujours le moyen de trouver ce livre : liste de bibliothèques, librairies en ligne, etc. (accès direct aux éditions Routledge par exemple) ce qui facilite grandement la tâche d’un chercheur.

Dès que l’on sort du domaine du droit d’auteur ou du copyright, les possibilités s’étoffent. J’ai ainsi dans ma bibliothèque une collection rare des « Poètes Français ou Collection des poètes du premier ordre » publiée en 40 volumes en 1821 chez Mme Veuve Dabo et je me suis amusé à interroger Google livres sur certains d’entre eux. J’ai obtenu 607 références pour Madame Deshoulières, 733 sur Colardeau un peu connu pour ses poèmes érotiques ; j’ai eu plus de mal avec Imbert car il a trop d’homonymes. Cependant en demandant « Imbert poésie » j’ai obtenu 618 références et en choisissant « pages entières de livres », 58. J’ai pu ensuit obtenir la photo de la page 101 du tome IX du cours de littérature de « Lycée ou le cours de littérature ancienne et moderne de La Harpe » (dont il se trouve que je ne possède que les sept premiers volumes) où La Harpe parle de ce poète, ce qui m’a permis de restreindre ma recherche à « Barthélémy Imbert » et de trouver 646 références, d’apprendre qu’il est né à Nîmes en 1747 et mort à Paris en 1790, d’obtenir sa bibliographie complète, d’apprendre au passage qu’il a écrit du théâtre, des vers « piquants et paillards » (absents de mon anthologie), de connaître l’opinion de Diderot sur son « Jugement de Pâris » illustré par des gravures de Moreau, etc. Je vous épargne la suite. Tout ceci bien sûr avec à chaque fois la possibilité de savoir où trouver les ouvrages qui m’intéressent soit pour les consulter, soit pour les acheter. Et encore, les auteurs français sont assez peu présents car la plupart des ouvrages intégraux sont d’origine anglaise ou américaine. On sait pourquoi…

Ceci de chez moi et en un peu moins d’une heure. Qui dit mieux ?

(Article publié dans le N° 187 d'Action Poétique, mars 2007)