La question du téléphone n’est pas d’ordre technique, si par technique on entend simplement une instrumentalité. Le téléphone a modifié de part en part notre monde, il a changé notre relation aux autres et à nous-mêmes, il a affecté jusqu’à la distinction entre le présent et l’absent, la définition même de la transcendance.
Il y a bien sûr de grandes différences entre le téléphone et le mobile. Il n’est pas même assuré que ce dernier soit simplement un développement du premier, car entre les deux il y a comme une inversion analysée dans le texte « T’es où ». Une inversion entre le «qui » et le « où », un changement dans l’articulation entre l’identité et l’espace.
C’est donc de cette relation dont il sera question ici, autre façon de problématiser le public et le privé au travers de différents flux. Ceci nous permettra d’approcher tout ce que le télé (à distance) a modifié dans le champ esthétique et donc artistique.
quelques ressources www.textually.org/
LA DISTANCE DES SPECTRES
1. Ontologie/Hantologie
On peut analyser le phénomène du téléphone du point de vue des spectres. Cette approche imaginée par Jacques Derrida permet de questionner simultanément deux éléments : les technologies comme produisant des revenances et les discours (le logos) à propos des technologies comme produisant des hantises.
Avec le téléphone nous sommes en effet face à une technologie très particulière, car elle véhicule du langage, que celui-ci soit un acte de communication ou d’inscription, c’est-à-dire d’écriture. La technologie est un discours sur les techniques et des techniques du discours.
Développement sur l’enthousiasme conjuratoire…
Nous apercevons le téléphone comme une technologie spectrale d’une part du fait de récit populaire faisant de cette technique un médium vers le monde des morts, mais aussi parce qu’avec le téléphone nous rendons ceux qui sont absents, présents. Le fait de transformer ainsi la nature même de ceux qui manquent n’est pas sans rapport avec la logique freudienne du fortda qui nous apprend combien la relation présence/absence est aussi une relation vif/mort.
Imaginons à présent quelqu’un d’une autre époque voyant dans la rue cette foule parlant au téléphone, portant ce petit objet à son oreille-bouche et articulant des mots sans interlocuteur présent. Il aurait sans doute le sentiment d’avoir affaire des illuminés, à des gens étranges, peut-être un peu fou. Quotidiennement nous communiquons avec les absents, sans même plus nous apercevoir de l’incroyable révolution de cette activité journalière. Avec le téléphone il s’agit sans doute de dépasser les limites et les distances de l’espace, de continuer à être en contact avec ceux dont nous avons perdu le contact. Il y a en cela une logique étrange, paradoxal de l’absolu (absolutum), du délié qui relie.
Analyse phénoménologique de l’interdiction du téléphone portable dans les lieux publics. La raison pour laquelle une personne parlant à son téléphone nous gêne plus que deux personnes présentes l’une à l’autre et à nous-mêmes, est une question fondamentale pour éclairer la spectralogie téléphonique. Par cet exemple nous comprenons que si nous arrivons à faire abstraction de la présence des deux personnes c’est paradoxalement parce que nous comprenons ce qu’ils disent. Dans le cas d’une personne parlant à son téléphone, sa parole persiste et insiste, elle nous énerve parce que nous en sommes explicitement exclus.
2. Distances
Ken Goldberg et Joseph Santarromana, Telegarden (1996-97)
www.usc.edu/dept/garden/
This tele-robotic installation allows WWW users to view and interact with a remote garden filled with living plants. Members can plant, water, and monitor the progress of seedlings via the tender movements of an industrial robot arm. Internet behavior might be characterized as “hunting and gathering”; our purpose is to consider the “post-nomadic” community, where survival favors those who work together.
Masaki Fujihata, Lights of the net (1996)
www.walkerart.org/archive/7/B7739D91C1A6A56E615F.htm
With “Light On the Net,” the feedback is immediate. Click on the light, and a few moments later the screen redraws and it is now off or on. To assuage feelings of incredulity (how fast does light travel anyway?), at the bottom of the page are the IP addresses of the last 10 actions (G9 off). Yup, that was me. Of course, a simple cgi or java program could be mimicking this action, even with the different people who walk into and out of the screen each time. I think I finally became convinced of the authenticity of my ability to reach out and turn a switch on a light several thousand miles away, when I logged onto the site one afternoon from Minneapolis. The screen where the lobby had been was completely black, except for the lights. It must be down. Or maybe they ran out of fake backgrounds. Then it dawned on me that it was 4 in the morning in Japan, and the lobby was indeed dark. Except for the bank of 49 20W lights. Imagine what that must look like to the security guard doing her rounds, one light or another occasionally illuminating or going dark at the whim of who knows where.
Jonathon Keats, My Cage (Silence for Cellphone) (1996)
www.startmobile.net/M60-silent.html
“My Cage” is a four minute and thirty-three second interlude of digitally-generated silence, freely distributed through START MOBILE as a cellphone ringtone. It can be heard whenever a call comes through, whether out on the street, at a noisy concert, or in the quiet of home. While this is highly useful in its own right, “My Cage” is also a conveniently portable work of conceptual art by Jonathon Keats, revisiting (if not bootlegging) John Cage’s most iconic musical composition: four minutes and thirty-three seconds of silence performed on a piano, in front of a live audience, back in 1952.
3. Les fantômes et l’indétermination de la voix
Cette logique du fantôme n’est pas opposée à la logique de l’aura décrite par Benjamin. L’aura est ce qui peut lever les yeux vers nous, l’aura est cette possibilité d’anthropomorphisme à la limite de l’humain, ce n’est pas une présence pleine et entière comme on le croit souvent.
Le fantôme nous parle, s’adresse à quelqu’un (est-ce à nous ?), il peut sembler normal, mais quelque chose est comme décalée. La voix au téléphone est normale, mais pas totalement. Une étrangeté persiste.
Le fait de rendre présent l’absent a des conséquences profondes sur la façon de raconter. Il faudrait sans doute lier cette question du téléphone au nouveau roman et là la déconstruction. L’indétermination du récit au siècle dernier ne trouve-t-elle pas l’une de ses conditions de possibilités non dans une affaire interne à l’histoire du récit, mais dans cette nouvelle sensibilité des spectres au téléphone ?
Développement de la notion d’indétermination et de variabilité comme ouverture de la génétique même du récit.
Viktoria Binschtok, One bear, one elephant, and three people on the phone (2007)
A.P. Komen et Karen Murphy, A soft Whisper
Steve Bradley, Urban Tells (2006)
Golan Levin, Dialtones (2001)
Gregory Chatonsky, Standard (2005)
Autonomous Light-Air Vessels (2006)
Indépendance de certaines formes technologiques
www.alavs.com/
À FLEUR DE PEAU
Si le portable appartient à une spectralogie et à une hantologie, l’une de ses caractéristiques majeures et sa portabilité qui annonce une invasion de la peau par les technologies, allant de celles qui sont portables à celles qui son nanos.
La portabilité est une nouvelle catégorie, car, à la différence des techniques passées, le téléphone est toujours sur nous, nous ne le quittons jamais, car comme l’explique fort bien le texte « T’es où » il définit notre identité et notre relation aux autres. C’est grâce à lui que nous restons en contact comme on dit, le contact et la peau…
Hegel dans son Esthétique avait longuement problématisé la question du vêtement en art. Il considérait celui-ci comme un élément de tension dialectique entre le voilé et le dévoilé, l’habillé et le nu, fut-ce à titre de simple possibilité. Mais le portable ne relève pas de cette logique du vêtement, il est entre le vêtement et la peau, il envahit le vêtement lui-même, déforme nos poches, il sonne ou vibre. Cest un élément majeur de notre construction corporelle, ce n’est pas un élément et idéél.
Qu’est-ce que la portabilité ? Est-ce pouvoir se déplacer toujours tel un nomade ou une façon étrange de l’immobilité ? Il faudrait observer les gens marchant dans la rue quand leur téléphone sonne, que se passe-t-il ? Comment s’arrêtent-ils dans la rue, cet espace commun, ou continuent-ils leur chemin ? Autant de questions sur la motricité.
Revoir la question de la technique comme ce qui est à portée de main, devient à portée de peau. La peau de saisit pas, ne manie pas. La technique est la peau.
1. De la dialectique du vêtement au portable
Teresa Almeida, Space dress (2006)
Beatrice Valentine Amrhein, Videos Lustre (2003)
suite.tekora.com/i/beatricevalentineamrhein/mobile_art_2/version_fran/videos_lustr/presentation
Cell Phone Disco (2006)
Le corps invisible du téléphone portable
cellphonedisco.informationlab.org/
Flashing cells basically consist of one or more LEDs, battery and a sensor that detects electromagnetic (EM) radiation transmitted by an active mobile phone. When the sensor detects EM waves it sets off the LEDs to flash for a couple of seconds. In general the flashing cells are enclosed in a plastic casing on a strap and sold as a fashion accessory for a mobile phone.
2. Le paradigme oeil/main
Développement sur le paradigme oeil-main comme monstruosité esthétique.
Gregory Chatonsky, Se toucher toi (2004)
3. Être-ensemble/être-distant
Montrer la structure profondément ambivalente (car c’est du spectre) du portable. Ainsi, la distinction entre le public et le privé est quotidiennement disloquée. Ce qui structurait de part en part les sociétés est remis en cause.
On peut passer rapidement d’un régime solitaire à un régime social, changer de registre, aller vers une communauté absente dans l’espace phénoménologique, mais présent dans l’espace numérique, jouer entre les flux. Que se passe-t-il quand la distance et la proximité ne s’opposent plus ? N’était-ce pas leur opposition qui structurait le temps (la distance c’est de l’espace parcourur dans un certain temps) ? Et en ce sens les cadres a priori de la perception ne sont-ils pas bouleversés ?
Le graffiti sans trace
Le son en silence
Mysaic, Tim Redfern (2004)
www.eclectronics.org/projects/octree/installations.php
Mysaic allows the audience to take their own picture by sending the installation an SMS text message from their mobile phone. These pictures then become utilised as the database of images the mosaic is made from.
The Cell Atlantic CellBooth (2006)
Family Filter, Simpletext (2004)
www.simpletext.info/
SimpleTEXT is a collaborative audio/visual public performance that relies on audience participation through input from mobile devices such as phones, PDAs or laptops. SimpleTEXT focuses on dynamic input from participants as essential to the overall output. The performance creates a dialogue between participants who submit messages which control the audiovisual output of the installation. These messages are first parsed according to a code that dictates how the music is created, and then rhythmically drive a speech synthesizer and a picture synthesizer in order to create a compelling, collaborative audiovisual performance. SimpleTEXT was originally funded by a commission from Low-Fi, a new media arts organization based in the UK.To date, SimpleTEXT has been shown 12 times in 8 countries across Europe and North America.
Mobile Assassins (2006)
You will receive an MMS message containing a photo of your target and you’ll have to locate him/her by any means possible.
Stealthily take a photo of his/her face and send it to hit@mobileassassins.com
You will recieve an MMS with the photo of your most recent hit’s target, who will be your new target
If someone tries to assassinate you, you may counter hit them first.
The game is over when only one assassin is left or if game end-time has been reached.
Blast Theory, Day of the figurines (2005)
Day Of The Figurines is set in a fictional town that is littered, dark and underpinned with steady decay. The game unfolds over a total of 24 days, each day representing an hour in the life of the town that shifts from the mundane to the cataclysmic: the local vicar opens a summer fete, Scandinavian metallists play a gig at the Locarno that goes horribly wrong while an occupying army appears on the High Street. How players respond to these events and to each other creates and sustains a community during the course of a single day in the town. From the Gasometer to Product Barn, the Canal to the Rat Research Institute, up to 1,000 players roam the streets, defining themselves through their interactions.
Day Of The Figurines continues Blast Theory’s enquiry into the nature of public participation within artworks and within electronic spaces (here, through SMS). It uses emergent behaviour and social dynamics as a means of structuring a live event. It invites players to establish their own codes of behaviour and morality within a parallel world. It plays on the tension between the intimacy and anonymity of text messages, building on previous projects such as Uncle Roy All Around You, I Like Frank and the award-winning Can You See Me Now?
T’ES OÙ?
DE LA GÉOLOCALISATION
En plus de la portabilité, ces technologies questionnent la géolocalisation des individus. En effet, toutes ces technologies sont potentiellement ou effectivement géolocalisées et identifiées. Pour pouvoir communiquer sur un réseau, recevoir et envoyer de l’information, il faut identifier. Relation au concept de « société de contrôle » chez Foucault et Deleuze comme internalisation et réification du contrôle.
Analyse du « T’es où » qui remplace le « Pourrais-je parler… ». Conséquences profondes sur la notion même d’habitation et de familiarité. En communiquant avec quelqu’un, on ne va plus vers une famille, vers un lieu, mais vers une personne particulière qui porte son moyen de communication. Proposons une hypothèse : face à une oeuvre, on demandait implicitement auparavant « qui ? » (Qui est l’artiste ? L’art comme expression d’une intériorité exaltée), à présent il faudrait demandait « où ? » (d’où tu parles?). C’est un peu la question que posait à sa façon le Readymade de Marcel Duchamp en déconstruisant le contexte institutionnel de l’oeuvre d’art.
1. La superposition des espaces
Le moblog
Paul Notzold, Txtual Healing (2006)
Blast Theory, I like Frank (2004)
Jean-Pierre Balpe, Fictions (2005)
www.lesiteducube.com/atelier/jeanpierrebalpe-fictiondissy.html
Le roman génératif Fictions d’Issy met en scène deux personnages - il et elle - dans une situation sentimentale qui oscille entre la rupture et l’engagement. L’histoire est générée en permanence, par fragments diffusés sur les onze panneaux d’affichage électronique de la ville, en alternance avec les messages municipaux - un nouveau fragment apparaissant régulièrement. La ville d’Issy-les-Moulineaux est le territoire où les personnages évoluent, le nom des établissements publics, rues, places, etc. étant mémorisés dans le générateur de texte. Les isséens peuvent donc suivre l’évolution des personnages dans des lieux familiers. Ceux qui choisissent d’intervenir dans l’histoire, qu’ils soient d’Issy ou d’ailleurs, peuvent appeler un numéro vert où il leur est indiqué de sélectionner l’une des touches de leur clavier téléphonique. Celui-ci devient, pour l’occasion, une carte symbolique qui représente à la fois le territoire global de la ville et celui, sentimental, de la relation entre les personnages. Ce choix rapproche ou éloigne les personnages du roman. L’appelant reçoit sur son téléphone un SMS qui est le fragment d’histoire qu’il aura contribué à générer et qui apparaîtra un peu plus tard sur les divers lieux d’affichage de la fiction. Un site Internet permet ainsi de retrouver la totalité des fragments générés. Discussion
2. L’identification et la spatialisation
L’implantation d’un espace en soi
www.flickr.com/photos/28129213@N00/sets/181299
Couper le flux du RFID
Kate Hartman, Kati London, Sai Sriskandarajah,, Urban Sonar (2006)
Christian Nold, Bio mapping (Jan 2004)
3. Écriture et communication
Le téléphone portable allie des fonctions d’écriture et de communication. Changement profond par rapport à la tradition technique et culturelle.
Critique du téléphone portable comme caméra vidéo comme incompréhension de l’esthétique du portable.