«J'étais hier invité à la Société des Gens de Lettres pour un débat portant sur les relations des technologies numériques — essentiellement Internet — à la littérature. Bien entendu j'ai présenté mes générateurs de fictions (FICTION (fictions) et TRAJECTOIRES) qui, bien entendu, ne fonctionnaient pas l'ordinateur de la SGDL n'ayant pas les plug-in nécessaires et personne ne m'ayant averti à l'avance que j'aurais à le faire. Il est vrai que nous sommes dans un autre monde et que l'univers technique est loin de celui de la SGDL. Passons. J'ai quand même pu présenter l'hyperfiction La disparition du Général Proust et quelques unes de ses multiples branches (Le sens de la vie, par exemple).
Comme c'était prévisible, le débat a essentiellement porté sur la génération automatique. Je m'y attendais. Avec les écrivains il en est toujours ainsi. Il n'empêche que je suis toujours à me demander si nous vivons bien dans le même monde. La plupart des écrivains, ignorant volontairement que son histoire est courte, ne jurent que par le livre, par la linéarité, par sa fractalité, par l'idée que tout écrivant est un être de maîtrise absolue gérant comme un ingénieur mot après mot et ne les posant sur sa feuille de papier qu'avec une attention extrême. Dans ce cadre idéologique, la relation mot-auteur est investie d'une force quasi-mystique et il est évident qu'aucune machine ne pourra jamais l'obtenir puisqu'elle n'est pas humaine.
C'est passer un peu vite sur plusieurs phénomènes:
- d'une part, il est possible de modéliser l'écriture (je crois l'avoir amplement démontré en utilisant mes générateurs)
- d'autre part la littérature n'est pas une et même si le roman (qui peut me dire exactement ce que c'est?) est actuellement dominant pour des raisons complexes, mais où le dispositif éditorial n'est pas négligeable, la littérature a d'autres formes traditionnelles et contemporaines même si celles-ci n'intéressent pas vraiment l'industrie éditoriale
- de plus un ordinateur — bien que n'étant qu'un simple outil — n'est ni un poinçon (comment écrivait-on de la littérature sur des ostraca?) ni un stylo. Cet outil, par ses spécificités propres introduit d'autres possibilités littéraires dont les curieux peuvent voir des manifestations de plus en plus nombreuses sur Internet notamment.
- enfin la présence d'un outil ne supprime pas l'humain. Seul, l'outil ne produit rien. M'obliger de façon récurrente à préciser si je me considère bien comme un écrivain (tout en refusant la mythologie qui entoure ce terme), relève de cette erreur fondamentale. Oui, je considère produire de la littérature même si je ne cherche pas à produire celle qui est largement diffusée.
Peut-être mesdames et messieurs les écrivaines et écrivains devriez-vous parfois sortir de vos lits, ruelles, cabinets noirs et autres lieux tout autant fétichisés et regarder ce qui se passe autour de vous: le monde change, vous emporte dans son flot notamment technique, réveillez-vous!…»
Billet tiré du blogue de Jean-Pierre Balpe, HyperFiction.