Transmission d’odeurs, d’émotions, de données biologiques... Loufoques ou vitales, les futures utilisations du téléphone portable paraîssent infinies.
Qu’y a-t-il de commun entre l’airbag d’aujourd’hui et le téléphone mobile du futur ? Le Mems. Quatre lettres pour Micro Electro Mechanical Systems. Dans l’airbag est niché un Mems, explique Bruno Salgues, enseignant-chercheur à l’INT (Institut national des télécommunications), et sans lui, il n’y aurait pas d’airbag : « C’est lui qui détecte le choc et déclenche une commande électrique qui fait réagir un petit explosif qui lui-même libère un gaz qui remplit l’airbag... » Capteurs capables de déclencher des réactions en chaîne, les Mems, conçus dans les années 70, s’apprêtent aujourd’hui à coloniser les mobiles. L’idée d’en truffer nos inséparables téléphones emballe la recherche en microélectronique. Elle voit dans ces capteurs de plus en plus minuscules, plus fins qu’un cheveu, les vecteurs de la prochaine révolution de l’actuel émetteur-récepteur mobile.
Une vision futuriste étayée par un argument prosaïque mais solide : « Fabriquer un Mems, c’est très cher. En fabriquer 10 000 d’un coup fait chuter considérablement le coût à l’unité », souligne Hugues Métras, responsable des programmes applicatifs du Leti (Laboratoire d’électronique et de technologies de l’information). Or, où trouve-t-on aujourd’hui le marché le plus prometteur pour disséminer des millions de Mems ? Dans les mobiles : il s’en est vendu plus d’un milliard en 2006. « Aucun objet électronique n’a été intégré par autant d’utilisateurs avec une telle rapidité », fait remarquer le chercheur. Le Minatec Ideas Laboratory de Grenoble est l’un des lieux où l’on « élève » aujourd’hui les Mems. Curieux endroit que ce centre de recherche. Né sous l’égide du Leti (un laboratoire du Commissariat à l’énergie atomique), il marie des ingénieurs des verres Essilor, des skis Rossignol ou de l’opérateur Orange avec des anthropologues, des ergonomes et des philosophes des universités Pierre-Mendès France et Stendhal de Grenoble (lire l’entretien). Ici, on accouche des idées, on les jauge, on les recale ou on crée des maquettes préfigurant les usages futuristes du mobile. Des plus sages aux plus loufoques...
Téléphone-boussole
« Imaginez-vous sortant du métro. Votre mobile est équipé d’un GPS (Global Positioning System). Il vous localise à quelques mètres près. Vous vous connectez à l’Internet, via le réseau mobile, et le plan du quartier apparaît sur votre écran », raconte Hugues Métras. Jusque-là, rien de très futuriste, l’offre existe déjà. Mais si le piéton sait exactement où il est, rien ne lui indique dans quel sens marcher pour rejoindre son objectif. Un problème résolu, potentiellement, avec un mobile équipé d’un Mems « boussole ». Grâce à un microcapteur magnétique, il oriente la carte affichée sur le mobile dans le sens de l’utilisateur, de façon à lui indiquer d’emblée la bonne direction...
Téléphone-joystick
Transformer le mobile en télécommande pour un voyage virtuel, ou en manette pour jouer sur son ordinateur... Le Minatec a fabriqué un premier prototype sous la forme d’une souris. On la prend au creux de la main et on la pointe sur une carte en relief —en l’occurrence une vue en 3D des environs de Grenoble, stockée dans un ordinateur et projetée sur un écran. Impressionnant. On cible une vallée, on incline la main, on vire, à gauche, à droite, et le paysage se révèle à mesure de la progression. A l’intérieur de la souris, un Mems-capteur de gravité qui mesure les mouvements haut-bas, et un second Mems-capteur magnétique pour raffiner le décryptage du geste. Le champ des applications est vaste. Les chercheurs imaginent un mobile capable d’agir sur tous les appareils de l’environnement domestique : on pourrait changer de programme (télé, radio...), monter le son, zoomer sur une vidéo, naviguer dans l’image projetée sur le PC ou la télé... Et pourquoi pas, tracer des chiffres dans l’espace pour former un numéro d’urgence...
Téléphone-instrument de musique
Autre idée à la limite du saugrenu, un mobile dont on se servirait pour jouer un prélude de Bach ou n’importe quelle partition. La succession de notes est enregistrée dans l’appareil truffé de Mems. Pour lancer le morceau et avoir l’illusion de jouer soi-même, il suffit de l’agiter, moderato , allegro, forte... Le prototype de ce karaoké instrumental est en route. Poussant le jeu un cran plus loin, le labo travaille en ce moment avec Annabelle Bonnéry, une chorégraphe. Elle porte des petits bracelets équipés de capteurs, aux chevilles et aux poignets. « C’est elle qui crée la musique, en temps réel », ajoute Michel Ida, directeur général du Minatec. Le spectacle est programmé à Grenoble, à l’automne.
Téléphone-docteur
Les Mems pourraient aussi capter des mesures biologiques... Cachés dans la pièce ou fixés sur la personne, ils communiqueraient leurs données au mobile qui les enverrait au médecin ou à la famille : mesure du pouls, de la fréquence vocale, de l’activité physique... Dans le champ médical, les applications n’ont pas de limites. Pour l’épilepsie, par exemple, on pourrait enregistrer à l’hôpital la signature du tremblement et suivre à distance le sujet grâce à son mobile. « L’idée n’est pas de remplacer les intervenants autour de la personne maintenue à domicile, mais d’intervenir au plus juste en la laissant chez elle le plus longtemps possible », rassure Hugues Métras.
Téléphone sensuel
Le mobile intime mobilise tout autant l’attention. Des capteurs Mems mesureraient la conductance électrique de la peau, révélant, par exemple, la moiteur des mains. Et communiqueraient les données émotionnelles. « On va pouvoir mesurer le stress ! », s’emballe Laurent Hérault, le chef du programme télécoms, qui pilote e-Sense, un programme de recherche sur le thème de la transmission des sensations associant 28 partenaires européens, en majorité des industriels. « On envisage même de transmettre des sensations de toucher », ajoute le chercheur. Ou des odeurs : un capteur, sorte de nez artificiel, serait capable d’analyser les effluves. Ils seraient restitués à l’autre bout du sans-fil via un microdispositif liquide ou gazeux... Sans pareil pour faire humer à son interlocuteur la rose du jardin ou des odeurs plus intimes.
Téléphone-mémoire
A force de miniaturisation de l’électronique, il sera possible de stocker dans un mobile, sur de minuscules mémoires, plusieurs milliards de bits, soit 1000 fois plus de données qu’aujourd’hui. « On pourra alors garder trace de tout ce qu’un individu aura vu ou entendu, du berceau à la tombe », explique Michel Ida . Pour disposer de ce mobile enregistreur de toute une vie, il va toutefois falloir patienter une quinzaine d’années...