Face à l’encyclopédie en ligne, souvent critiquée, d’autres sites jouent la carte de l’expertise.
C'est un ancêtre de la Toile, qui a connu son heure de gloire, puis qui s’est retrouvé écrasé par de jeunes mastodontes sans vergogne. L’Agora fut sans doute la première encyclopédie virtuelle et participative de langue française, lancée en 1998, bien avant Wikipédia née en 2001. « En 1995, le gouvernement de la province a demandé à notre agence de faire une étude sur Internet et l’avenir du Québec », a relaté mercredi le philosophe Jacques Dufresne, cofondateur de l’Agora. L’étude s’est transformée en plongeon dans le Web, avec l’idée d’accumuler des connaissances pour « introduire de l’ordre dans ce chaos ». Des milliers de dossiers ont été rédigés et validés par un petit comité d’experts, et il fut un temps où « nous étions toujours les premiers dans Google », raconte Jacques Dufresne avec un brin de nostalgie. Ce passé semble loin et le philosophe a décidé de refaire parler de la pionnière québécoise. La voilure a été élargie et l’encyclopédie englobe désormais des satellites thématiques.
« Il faut consacrer un dossier au tandem Google-Wikipédia à l’intérieur de la section Culture et éducation », écrit Dufresne, qui a décidé de pourfendre les deux monstres d’Internet. Nous vivons, selon lui, la révolution du direct. « Enfin, plus besoin d’intermédiaires (professeurs, journalistes, avocats, médecins), nous assistons à une espèce de fièvre qui rappelle 68. » L’élève qui a une recherche à faire « inscrit sa requête dans Google et obtient le plus souvent, parmi les premiers résultats, un document faisant partie de l’encyclopédie Wikipédia ». D’où l’urgence, à son avis, d’un débat international sur les contenus et les médias qui les diffusent.
Régulièrement, des critiques à l’égard de Wikipédia (près de 500 000 articles en français, plus de 7 millions dans plus de 192 langues) émergent. Meilleure expression de ce qu’Internet peut avoir de généreux (gratuité, bénévolat, collaboration, échange), le site est pourtant accusé d’approximations, de méthodes staliniennes et surtout d’ouvrir grand les bras aux manipulations. Et il ne sied guère à une encyclopédie de jouer les girouettes, comme lors de deux récentes empoignades entre wikipédistes : sur l’entrée EPR, après le débat du 2 mai entre les deux candidats à la présidentielle, et sur l’article sur Guy Môquet, le jeune résistant fusillé pour qui Nicolas Sarkozy fait des trémolos. Des dizaines et des dizaines de modifications ont eu lieu sur ces deux entrées dans les heures suivant les événements. C’est ce qu’Olivier Ertzscheid, chercheur en sciences de l’information, appelle joliment des TRD (« tentative de redocumentarisation déviante »), « qui traduisent le lien complexe entre lecture et inscription dans la temporalité particulière du numérique ».
Un des cofondateurs de Wikipedia, Larry Sanger, a lancé fin mars Citizendium (lire Ecrans du 27 mars), une encyclopédie concurrente, également participative et gratuite, mais qui passe par la validation d’experts. La pieuvre Wiki n’ignore rien de ces attaques et dit chercher à améliorer sa qualité. Dans la préparation de son colloque à la Cité des sciences les 19 et 20 octobre, elle propose des témoignages de chercheurs qui l’aiment, eux. Elle pose aussi la (bonne) question : « Comment reconnaître l’expertise d’un expert ? »