Du 23 octobre au 12 novembre 2017, l'espace de diffusion en ligne Galerie Galerie a présenté Up!, une résidence vidéo «at home» développée en collaboration avec le Studio XX. Par cette résidence, la galerie cherche à mettre de l'avant des démarches artistiques s'inscrivant dans «l’expérimentation de la création vidéographique instinctive, en plus d’interroger la mise en ligne continue de contenu que permet/provoque/invite les nouvelles plateformes numériques telles qu’Instagram, Snapchat et Facebook1». L'exploration des possibilités de ces plateformes pour l'art numérique est au coeur des préoccupations de Galerie Galerie, comme le démontre les cinq expositions en ligne organisées depuis sa création. Leur première exposition, C LA VIE ̄\_(ツ)_/ ̄ (août 2016), explorait l'abolissement de la dualité entre le virtuel et la «vraie vie»; Silicon Vallée (octobre 2016), la réappropriation féminine de la création web; B34U D3551N (janvier 2017), les pratiques du dessin influencées par le mème et INSTA (juin 2017), «l’occupation de l’espace en ligne2».
Avec Up!, deux artistes montréalais et un collectif français se sont succédés pour présenter «en direct» leur travail en ligne sur la page de Galerie Galerie et sur son compte Instagram @galerie.galerie. Tout au long de leur semaine de résidence, nous avons vu au fil des vidéos et images mises sur Instagram l'évolution de leur travail ainsi que la chronologie de leur courte résidence artistique.
La première artiste à avoir présenté son travail est Justine Durand. Ses vidéos-gifs attestent d'une démarche créatrice d'abstraction issue de la synthèse et du mixage vidéo. À travers cette série de vidéos nous suivons ainsi le développement d'expérimentations sur «la relation entre les signaux électroniques et la vidéo digitale»3 qui prennent la forme de barres de couleur et de textures générées par des ondes. L'artiste utilise également les effets de mise en abyme permis par le «video feedback», technique qui consiste à renvoyer en boucle le signal contenu entre la caméra et l'écran. Par ces expérimentations, Durand réactualise/trafique l'esthétique analogique, donnant l'impression de visionner un enregistrement VHS brisé, une fausse archive ou une réalité alternative issues des années 1990.
Du 29 octobre au 5 novembre, l'artiste en résidence présenté par Galerie Galerie a été Jules Deslandes. Les vidéos de l'artiste montrent des corps masculins fragmentés. Un certain érotisme, suscité par ces bribes de corps envahissant l'espace de l'image, côtoie le malaise de l'uncanny engendré d'abord par la texture 3D de la peau beige lisse et des poils figés, puis par l'étrangeté même de ces corps flottants qui deviennent des formes abstraites de chair ressemblant à des créatures hybrides. L'apparence de ces corps s'éloigne de celle, idéalisée, dans la sculpture classique, en mettant de l'avant une représentation excessive de pilosité, jusqu'à rendre les corps méconnaissables. Le sentiment nauséeux créé par ces corps déformés est explicitement recherché par l'artiste, qui explique sa démarche comme une tentative de créer «une forme d’intimité artificielle avec le spectateur, entre le dégoût, l’attraction, l’intime et le public4». Au fil de cette résidence, le style body-horror est accentué par l'effet de glitch rendu par la modélisation 3D permettant aux segments corporels gélatineux et poilus de bouger autrement que leur équivalent fait de chair et d'os. Deslandes conclu sa résidence avec une image d'un corps fragmenté, composé d'un torse, de bras, de jambes et de gencives, accompagnée des mots «No More Render Time» (plus de temps pour le rendu), énonçant le caractère inachevé de sa résidence.
Du 6 au 12 novembre, le collectif Nani$ôka Groupe utilise les codes de la culture mobile au sein de sa démarche de création, créant des navigations filmées d'applications tel que Groovebox, une application permettant de mixer de manière minimale la musique de son téléphone. Au cours de leur résidence, les membres du collectif ont ainsi travaillé exclusivement à partir de leurs téléphones mobiles pour concevoir leurs explorations qui procèdent à une accumulation de filtres Snapchat sur une figure 3D les représentant. Permettant d'illustrer la capacité de reconnaissance faciale de l'application, l'exercice a mené à la création d'une figure étrange ayant des similitudes avec le body-horror propre à la démarche de Jules Deslandes. Les vidéos témoignent d'un travail se déroulant sur plusieurs plateformes numériques, celles-ci montrant les actions des membres de Nani$ôka Groupe navigant d'une application active à une autre. De plus, des fenêtres de conversation s'ouvrent parfois dans la partie supérieure de l'écran de la navigation, nous faisant assister de manière fragmentaire à la discussion entre les artistes. Mise en scène ou non, ces conversations apportent un aspect narratif aux collages frénétiques du collectif.
Un événement de lancement de l'exposition ainsi qu'une table ronde avec les artistes ont eu lieu le 23 novembre 2017 au Studio XX. Puis, du 23 novembre au 22 décembre 2017, Galerie Galerie a présenté sur sa plateforme en ligne l'exposition collective découlant de la résidence. Les internautes ont pu alors constater le (re)travail des artistes sur leurs expérimentations ainsi que la manière dont les salles d'exposition virtuelles dialoguent avec les oeuvres qu'elles accueillent. Par exemple, dans le cas du Nani$ôka Groupe, une barre permettait d'entrer un pseudo et donc de personnaliser l'expérience de visite. Cet aspect faisant écho aux applications mobiles au coeur de la démarche du collectif.
- 1. Extrait des présentations des artistes. http://www.galeriegalerieweb.com/entree/#
- 2. Galerie Galerie, guide de l'exposition INSTA, PDF, http://www.galeriegalerieweb.com/wp-content/uploads/2017/07/instapdf.pdf.
- 3. Présentation de l'artiste en résidence Justine Durand sur le site de Galerie Galerie, http://www.galeriegalerieweb.com/entree/
- 4. Ibid.