Quelques notes sur les blogues...

Puisque Nt2 a choisi d'avoir un blogue pour alimenter les discussions, je crois qu'il peut être à propos de réfléchir sur la pratique du blogue, bien que sa nature collective le détourne apparemment de son usage habituel. « Le Journal n'est pas essentiellement confession, récit de soi-même. C'est un Mémorial. De quoi l'écrivain doit-il se souvenir ? De lui-même, de celui qu'il est, quand il n'écrit pas, quand il vit la vie quotidienne, quand il est vivant et vrai, et non pas mourant et sans vérité. Mais le moyen dont il se sert pour se rappeler à soi, c'est, fait étrange, l'élément même de l'oubli: écrire. » Maurice Blanchot, L'espace littéraire Dans les appels à contributions et les appels de communications, on constate que l’étude du blogue est dans le vent chez les universitaires. J’ai toujours l’impression que ces études cherchent à décrire un phénomène dont ils viennent à peine de découvrir l’existence. L’occasion me semble propice à une réflexion rétrospective sur ces mouvements de publication.Ma première fréquentation des blogues a d’abord été de nature obsessive. Quelques recherches sur Internet m’avaient conduite au journal de l’être aimé et admiré. L’absence de cette personne fuyante se faisait cruellement sentir. Impossible de résister à l’attrait de son blogue. En rechargeant plusieurs fois par jour la page de son journal, j’avais l’impression qu’elle était enfin près de moi. Elle écrivait dans son journal plus rapidement qu’elle ne répondait à mes courriels. Il était ainsi plus efficace, et surtout moins déprimant, de recharger son journal que ma boîte de réception. Je résistais à la création de mon propre blogue. Je craignais que cette écriture - que je qualifiais, comme tout le monde, de triviale, bien que mes lectures me prouvaient le contraire - , nuise à mon écriture dite sérieuse. On découvre rapidement, en les fréquentant, que les blogues sont un outil fascinant de publication. Difficile de résister très longtemps à cet attrait. Ils permettent de publier, à tout moment de la journée, pour rejoindre son petit lectorat qui se développe peu à peu. Le plus incroyable du blogue, c’est que les lecteurs réagissent à nos textes et que nous-mêmes, lecteurs des autres blogues, nous pouvons échanger directement avec les blogeurs. En commençant mon premier journal virtuel, je me suis aperçue que l’exercice ne nuisait pas du tout à l’écriture. Bien au contraire, il m’imposait une certaine de régularité. L’absence de contrainte me poussait à écrire plus souvent et à explorer de nouveaux sujets. Au fil des mois, on constitue une petite archive de ses écrits qui permet de voir son évolution et de s’encourager. En raison de leur complexité, les blogues nous emmènent à découvrir tout aussi rapidement leurs vertus que leurs vices. Bien vite, on s'aperçoit que les échanges dans les réseaux de blogues constituent de véritables pertes de temps. Qu’importe les effets pervers, les blogeurs s’habituent à tout, aux messages anonymes haineux, aux discussions vaines, à la prolifération des médiocres. Tout ce qui entoure le blogue est tendu par un mouvement dialectique obsédant de fascination et de répulsion. Quoi qu’il en dise, dès lors que le blogeur crée son premier journal, il y sera enchaîné pour la vie. Si l’autodafé est un principe constitutif du blogage, le phénix n’est jamais bien loin. On découvre rapidement la règle : tout blogue détruit renaîtra. À plusieurs égards, les blogeurs ressemblent à quelques groupes marginaux. Comme les gothiques ou les geeks, par exemple, tout blogeur se définit d’abord comme un non-blogeur. Ils avoueront tenir eux aussi un journal, de la même manière que les gothiques avoueront aussi ne porter que du noir et que les geeks avoueront passer la majeure partie de leur vie devant l’ordinateur, mais rarement ils accepteront de faire partie du mouvement. Cette définition négative permet, sans doute, de se détacher du groupe au moment opportun et de se prévenir ainsi du ridicule. On cherche tous à être le plus marginal des marginaux. Les blogues font désormais partie intégrante de ma vie. La première chose que je fais le matin est de consulter l’actualité. Je ne m’intéresse pas en priorité aux nouvelles mondiales, nationales ou régionales mais aux strictes nouvelles du milieu des blogues. Juste au cas où quelqu’un aurait écrit durant la nuit. Après quelques années à tenir mon journal, je me vois pourtant contrainte à avouer que je ne suis pas un bon blogeur. Pour conserver un lectorat, il faut arriver à maintenir son rythme d’écriture. Même si j’y suis littéralement attachée, je me désintéresse souvent de mon journal. Pour y remédier, je me suis créée un nouveau journal où je ne parle que de littérature et où j'en fais même parfois. Ma vie étant de toute façon entièrement consacrée à la littérature, je croyais être capable de développer chaque jour de nouvelles réflexions pour alimenter ce blogue. L’exercice m’a révélé une autre limite du blogue. Je passe souvent plusieurs jours à réfléchir sur le même texte et à ne relire que ce texte. Je pourrais recenser mes réflexions, me plaindre de leur absence ou compiler des citations. Le blogue n’est ni le lieu du ressassement, ni le lieu de la répétition. On s’attend des blogeurs qu’ils soient capable de changer rapidement de sujet. Il contraint donc la réflexion et l’écriture à la même logique de surface et de rapidité que le reste de la société. Et voilà que mon analyse sur cet aspect des blogues se fait aussi superficielle que tous les commentaires que je critique autour du phénomène. En les fréquentant pendant longtemps, on comprend que le blogue est, au contraire, le lieu par excellence du ressassement, qu’il est un des rares endroits de publication qui permettent le déploiement véritable de la pensée, qui se compose de plusieurs retours avant de réussir de réelles avancées. Raison de plus de se méfier des études d’universitaires qui viennent de découvrir les blogues. Si comme tout genre littéraire, le blogue exige qu'on lui consacre de longues périodes de lecture avant qu'on ne parvienne à le saisir, il se déploie, pour sa part, dans le temps. Il ne doit pas être simplement relu. Il doit être assidûment fréquenté. On entend souvent dans les médias des critiques d’Internet qui décrivent le réseau comme un monde virtuel de simulation. Dans le milieu du blogue, on sait depuis longtemps qu’on est loin des simulacres. L’action de bloguer n’est pas un échappatoire contre la vie et contre la société. Le blog inscrit, au contraire, le blogeur au cœur même de la vie, plus profondément encore que bien des formes de socialisation. La nature humaine se présente de façon entière sur Internet. Ses aspects souvent les moins reluisants agissent comme de puissants révélateurs et se manifestent régulièrement sur les blogues. Le blogue est un Mémorial, au même titre que l’entendait Maurice Blanchot à propos des journaux d’écrivain. Il n’est pas l’espace de narcissisme, de récit de soi, qu’on peut le croire au premier abord. Le blogue rappelle au solitaire qu’il vit, rappelle aussi au penseur ce qu’est la vie.