Conférence donnée au NT2 : Nouvelles textualités, nouvelles technologies,Département d’études littéraires, UQAM
Le numérique peut-il être le support d’une imagination?
Cette question qui semble au premier abord naïve questionne en fait la faculté de produire des images sur un support. Imagination et tabula. Imagination non comme image mais comme individuation des images. Mais est-ce une faculté? Et quelle est la place de l’imagination par rapport au monde que nous définirons comme une conjointure entre le temps et l’espace? Il nous faudra être vigilant à ces deux notions au fil de notre parcours. La fiction est-elle temporelle ou spatiale? Nous découvrirons en cours de route que l’imagination n’est pas un produit du temps et de l’espace mais une structure performative qui vient troubler l’a priori de ces catégories. Il nous faudra donc penser l’imagination comme transcendantale (cf diagrammes chez Kant).
Fantasme de la fiction interactive comme relève de la fiction.
Si la fiction interactive est un certain imaginaire c’est d’abord sous la forme du fantasme. Depuis des annéées on nous parle de la fiction interactive. Les technologies sont un lieu privilégié de l’imaginaire où chacun projette ce qu’il souhaite. Le fait qu’elles soient un support projectif n’est pas anodin mais structurel. Les technologies sont toujours déjà de la fiction. Savoir comment une valeur d’usage instrumental est entrelacée à de la fiction est un axe pour approcher la singularité des technologies. Ce qui importe également est de comprendre que la fiction interactive apparaît comme une relève de la fiction en tant que telle. Une relève au sens de la fin et de la clôture mais aussi au sens de quelque chose qui vient réaliser pleinement le possible de l’origine. cf le concept d’enthousiasme conjuratoire.
Que devient le schéma aristotélicien? (Brenda Laurel)
Certains tentent de retrouver le schéma aristotélicien dans le numérique. Ils essayent en quelque sorte de retrouver leurs billes, jeu de dupes, tour de passe-passe, où changer consiste à retrouver ce qu’on connaissait. Cette structure de la relève permet de croire qu’on contrôle l’avenir en le soustrayant à l’inanticipable. Le schéma de la Poétique est avant tout un schéma temporel: début, fin et entre les deux quelque chose, le climax. C’est également un modèle de l’individu défini comme identité. Nous ne converserons pas ce modèle.
Peut-on encore parler de fiction, récit, narration?
L’intérêt du numérique ne consiste pas en sa nouveauté face à la fiction mais réside dans le fait que c’est une structure permettant de radicaliser des questions anciennes que nous croyons mortes. Les différences entre fiction, récit et narration s’ouvrent. La narration consiste en un narrateur qui est un intermédiaire entre un référent (antérieur au récit qui est le produit de la récitation du narrateur) et le lecteur. Mais que devient la fiction quand il n’y a plus de narrateur, quand plus personne n’énonce le référent, quand nous, lecteurs, sommes seuls face à face à cet autre? Rappelons que le narrateur permet de garantir l’intégrité de l’Idée du référent, car si celui-ci se fonde sur un récit c’est qu’il a été rapporté et qu’il appartient toujours déjà à ce parcours. Les aléas pouvant lui arriver sont maîtriser d’avance, parce que son origine fonde leur possibilité. C’est très visible dans certains prologues platoniciens qui neutralisent l’instabilité de la tabula matérielle par cette question du narrateur qui diffère le référent (il n’en ait que le rapporteur).
Quelle relation entre paradigme et syntagme?
Entre écriture et lecture?
Entre contexte et intentionalité?
Entre rétention et anticipation?
Déplacements de l’autorité narrative.
Quelle relation entre programmation et Logos?
Le paradoxe c’est que cette machine de contrôle qu’est l’ordinateur produit de l’inanticipable.
« Comment produire, et penser, des fragments qui aient entre eux des rapports de différence en tant que telle, qui aient pour rapports entre eux leur propre différence, sans référence à une totalité originelle même perdue, ni à une totalité résultante même à venir? »
(Maurice Blanchot, L’Entretien infini, Gallimard, 1969, pp.451-452)
Travaux présentés:
Sous Terre (2000): la lacune comme condition de la fiction, produire de la vacance pour les lecteurs. La production du sens est la lecture.
Revenances (2000): l’indétermination. Créer des fragments sans relation causale, c’est-à-dire sans rétention et sans anticipation. Créer une forme d’apathie esthétique comme condition de l’espace.
Sampling (2002): la discrétion et la continuité. Une mauvaise traduction produit du sens (google, numérique, etc.)
La révolution… (2003): la tra(ns)duction du flux. La mauvaise traduction comme possibilité de transduction c’est-à-dire quelque chose qui se répant de proche en proche en gardant des traces de l’individuation précédente. La traduction permet de garder “un air de famille” entre les médias. cf la ressemblance informe chez Georges Bataille.
Readonlymemories (2003): l’espace narratif. Inversion de la relation temporelle construite par le cinéma au XXème siècle.
Se toucher toi (2004): narcissisme interactif. Jeu à 2+n espace. L’interactivité est avant tout une activité narcissique d’observation de soi et ceci de manière très particulière du fait du feedback interactif. Le narcissisme est fermé sur lui-même et en boucle.
Sur terre (2006): la variabilité. Critique de Lev Manovich par rapport à son absence d’écriture fictionnelle mais multiplicités chez lui des concepts opératoires.
Ceux qui vont mourir (2006) et Le peuple manque (2007): l’archive existentielle.
Billet tiré du blogue de Gregory Chatonsky.