Librairie tiers livre et pourquoi

Voici donc une nouvelle rubrique, et particulièrement innovante : la librairie tiers livre. Une librairie pourquoi, quelle transgression, et comment ça marche ?

« Il y a un pacte moral entre le livre et les libraires », insistaient encore récemment et gravement des libraires. Ce pacte j’entends bien le respecter. Mais dans le bouleversement actuel des rapports librairie-édition, l’auteur on n’en parle pas. Alors disons que pour notre propre survie on se fait aussi un peu éditeur, un peu libraire. Et pourquoi pas très bien libraire.

Qui de nous n’a pas eu la joie de découvrir (j’en connais dans des villages) de ces minuscules endroits qui proposent des livres qui tous vous font envie, parce qu’ils participent d’un choix subjectif et lisible, d’un environnement de sens et de qualité ? Des livres qu’on ne trouverait pas ailleurs, ou auxquels on n’aurait pas pensé sans ce geste de vous le proposer. Cet environnement, Internet le crée : les sites que nous aimons fréquenter sont ceux qui peu à peu prennent visage.

Les initiatives naissant par Internet pour proposer une autre figure de ce pacte commencent à émerger. Il y a eu l’association Matricule des Anges avec lelibraire.com (qui propose un programme partenaire, mais pas les outils pour se constituer ce choix de livres singuliers), il y a le programme d’édition d’inventaire/invention et leur toute petite librairie ouverte le samedi matin à Saumur (mais je ne suis pas souvent le samedi matin à Saumur : néanmoins, dans l’esprit, leur démarche m’a aidé).

Donc tiers livre vous offre une garantie : en se rendant dans cette librairie, vous quittez le site et êtes accueilli sur les serveurs du premier de la vente en ligne, amazon. Ce n’est pas un choix fait à la légère : nous attendions depuis 3 ans que les libraires se fédèrent pour une présence de vente en ligne qui leur permette de s’imposer dans ce marché sauvage et concentré. Il semble acquis qu’ils n’en prendront pas le chemin. Je serais prêt à changer du jour au lendemain pour un partenariat qui les privilégie : mais aucun des grands sites de libraires indépendants n’a souhaité s’ouvrir à ce type d’association, alors même que la présence physique de nos travaux chez eux s’estompe (ont-ils le choix ?).

Donc d’abord une garantie technique, fiabilité du service, possibilité de retours et suivie des commandes. Mais un logiciel qui permet d’assurer, sur cette page, non pas une simple redirection par clic (j’ai amusé quelques amis cette semaine en testant celles proposées par Google...), ni publicité clignotante ou intrusive, mais une sélection entièrement personnelle de quelques livres qui m’importent, ou dépositaires plus que d’autres du plaisir de lire.

Sur le fond, allons plus loin : les écroulements éditoriaux, et l’inverse croulement (on croule sous les parutions à durée de vie brève) modifient le visage des librairies. Le singulier y est moins visible. Les livres urgents, les livres nécessaires, les auteurs qui nous fondent comme communauté peuvent être indifféremment des livres de large diffusion (Alberto Manguel) ou de très rare présence (Paul Valet). Dans leurs magasins, les libraires fonctionnent de cette façon : rotation des tables, mise en avant de quelques livres coups de coeur.

Je n’imagine pas qu’un ami libraire puisse venir ici avec reproche : quelqu’un qui fréquente ces cinquante belles et vitales librairies que nous défendons au jour le jour, et nous sommes soudés par tant de traverses communes, n’a aucune raison d’acheter un livre en ligne plutôt qu’à son passage à la librairie. Au contraire, les recommandations tiers livre peuvent contribuer à faire naître à leurs fidèles des envies, une demande précise de découverte ou relecture.

Mais les 101 livres que j’ai choisi d’installer dans cette librairie virtuelle, qui seront régulièrement renouvelés chaque semaine, on aurait déjà bien de la peine à les trouver dans une Fnac ou un Virgin, ou dans ces librairies de ville qui ne sont pas ces 50 indépendants. Sans parler de mon propre travail : je présente une quinzaine de mes livres, dont le premier, publié il y a 25 ans. Le visage des librairies a changé : rotation des stocks, besoin de chiffre avec les livres dits d’actualité, le fonds de longue traîne a fondu (je serais curieux de savoir combien d’exemplaires du Méridien de Greenwich, de Jean Echenoz, sont actuellement disponibles en rayon sur toute la France...). La force d’Internet, c’est de pouvoir privilégier seulement ces livres-là, ceux qui ont compté. Etrange par exemple de découvrir combien d’entre eux sont proposés à moins de 10 euros...

Et chacun d’entre nous a désormais des pratiques mixtes, nous avons besoin des librairies, du dialogue, de la lecture : mais ici, sur ce site, on propose aussi — et depuis longtemps — ces rencontres, même de la voix, et des ouvrages singuliers. Cette librairie en est un prolongement : soutien modeste, qui aidera à assurer les frais d’hébergement, la présence et le développement du site. Il ne s’agit pas de prendre aux libraires, mais d’être présent et proposer un petit fragment du champ contemporain depuis l’autonomie même des pratiques virtuelles.

21 centimes d’euros de rétribution, ce premier jour, sur Aimer la grammaire de Pierre Bergounioux, qui a été la première commande d’un anonyme via ma très petite librairie : je suis plutôt fier d’avoir permis à quelqu’un de se procurer Aimer la grammaire du grand Pierre, que de la piècette de 20 centimes ! Et merci à ce visiteur inconnu d’avoir ainsi placé, via la commande du livre à 4, 63 euros, cette librairie sous le meilleur signe possible. C’est le paradoxe et la justification de cette démarche.

Vous trouverez donc en ligne : une vitrine de 6 ouvrages récemment parus, et qui sont mes propres lectures. Mes propres bouquins, et pas seulement le dernier paru. Des sélections thématiques, les livres qui comptent le plus, les rééditions, ou ceux qu’on néglige. Les livres que nous avons la responsabilité d’offrir aux moins de 20 ans (dans la tête). Les livres dont je me sers en atelier d’écriture, et même les disques que j’écoute.

Il ne vous en coûtera absolument rien de plus que lors d’un achat en ligne directement sur vos sites habituels, prenez le temps de comparer les prix, et le port est gratuit à partir de 20 euros, donc 2 livres suffisent (mais ici, vous pourrez en trouver 4 pour 20 euros, et non des moindres).

On vous en remercie d’avance, mais au nom même des livres qu’on aura ainsi contribué à faire, quelque part, exister. Venez une fois pour soutenir, on compte bien que vous reviendrez uniquement parce que ça marche, et que les livres reçus auront répondu à leur mission...

Billet de François Bon dans le tiers livre