« C’est la lecture qu’il faut sauvegarder »

(Source: Frédérique Roussel dans Écrans)

Lorenzo Soccavo, prospectiviste de l’édition, auteur de « Gutenberg 2.0, le futur du livre ».

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Qu’appelez-vous le « livre 2.0 » ?

Un dispositif de lecture qui apporte le même confort visuel, les mêmes avantages qu’un livre papier, mais qui contient toute une bibliothèque. Et surtout qui peut offrir aux lecteurs des possibilités d’accès à des informations complémentaires, de commenter le texte, de communiquer entre eux, voire avec l’auteur, l’éditeur... Un reader ne doit pas être un Pocket PC avec des fonctions en moins, mais un livre avec des fonctions en plus.

L’édition a-t-elle avancé sur le numérique ?
Elle s’affirme de plus en plus sur le Web. Les éditeurs y investissent davantage pour leur communication marketing, le lancement de titres, et ce avec des propositions de plus en plus innovantes (blogs dédiés, vidéos, podcasts...). Nonobstant, on ne peut vraiment pas parler d’enthousiasme ! L’histoire nous prouve cependant que les usages innovants finissent par s’imposer. Dans la situation actuelle, c’est comme si l’édition, plutôt traditionnelle, devait passer des voitures hippomobiles aux voitures automobiles. Cela n’est pas impossible. Mais il ne faudrait pas laisser les ingénieurs informaticiens décider seuls de l’avenir du livre.

Faut-il réinventer la chaîne du livre ?
Il est évident que le modèle actuel ne peut perdurer. Une surproduction de titres à la durée de vie de plus en plus courte et des lecteurs qui tendent à devenir de simples consommateurs : ce n’est pas un modèle économique viable. La tentation d’épuiser le système et d’entretenir la crise serait dangereuse. Les professionnels de la presse écrite et de l’édition doivent plutôt anticiper les ruptures d’usages des lectorats et offrir de nouveaux produits adaptés à l’époque et aux attentes.

Les problèmes juridiques sont-ils le dernier frein au développement de l’e-book ?
Les principaux freins sont de l’ordre du conservatisme. La législation suivra l’évolution des usages. Avec la dématérialisation des contenus, leur plus grande liberté de circulation et d’échanges, le droit d’auteur et la législation sur la propriété intellectuelle vont devoir s’adapter. Mais si auteurs et éditeurs doivent percevoir une juste rémunération, si contrefaçon et piratage sont illégaux, néfastes à la création et au marché, la liberté des lecteurs ne doit pas être entravée pour autant.

Un modèle comme l’iPod d’Apple et sa plateforme de contenus est-il imaginable ?
Nous pouvons le penser. C’est ce que tente Sony depuis fin 2006 aux Etats-Unis avec son reader et sa plateforme de téléchargement Connect Book Store. En Chine, un modèle similaire existe. Amazon y penserait aussi... Mais si on observe le marché de la musique, il faut aussi prendre acte de la levée des DRM (Digital Rights Management, gestion des droits numériques) et de l’émergence de modèles économiques. Les lecteurs refuseront d’être contraints par des règles obsolètes.

Pensez-vous que 2007 est une année charnière pour le futur du livre ?
Les années 2007-2010, oui. Avec l’industrialisation de l’e-paper, nous entrons dans une phase de transition. Une première usine européenne sera opérationnelle à Dresde, en 2008, et le prix des readers , pour l’heure entre 270 et 650 euros, va chuter. Une société française, Nemoptic, est également dans la course. L’édition va vivre une révolution comparable à celle de Gutenberg. Le plus délicat est d’en prévoir les délais et les conséquences sur ceux qui tarderont à s’adapter.

L’enjeu est-il la survie du livre papier ?
Il ne faut pas être fétichiste par rapport à l’objet. La vraie valeur réside dans l’intérêt du texte et la qualité de la lecture qui en est faite. Paul Soriano, qui a préfacé Gutenberg 2.0 (1) parle d’une « permanence de l’essence du livre dans les métamorphoses de l’objet ». Le livre n’est qu’un support de lecture. C’est la lecture qu’il faut sauvegarder. Le livre a l’opportunité de retrouver la place qui fut la sienne avant la radio, la télévision, puis le Net. Avec l’e-paper, l’écrit va accéder à une dimension réticulaire et ne plus être prisonnier de supports fermés sur eux-mêmes. Le véritable enjeu est de s’adapter aux nouvelles habitudes des lectorats de digital natives, élevés aux nouvelles technologies.

(1) Contribution de Constance Krebs, M21 Editions, 180 pp., 23 euros.

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