Soumis par Gabriel Gaudette le
Typolution est un court-métrage d’animation produit et réalisé par Olivier Beaudoin, étudiant en design graphique à l’UQAM. Le court-métrage muet de 3 minutes présente un récit sans personnage humain où l’on peut voir un cycle de la nature dérailler suite à l’irruption de gros immeubles de logement au milieu d’un espace naturel, ainsi que l’érosion d’une forêt causée par une pluie acide. Le court-métrage illustre ainsi le travail de destruction des plantes opéré par l’être humain dont les constructions envahissantes et la pollution atmosphérique abîment irrémédiablement la flore.
La particularité la plus significative de ce court-métrage est que tous les objets que l'on peut y voir sont construits à partir de signes textuels: des parenthèses et des lettres forment des nuages, des virgules se transforment en gouttes de pluie, les lettres HLM constituent la silouhette d’un immeuble à logement rectangulaire et des points d’interrogation forment des pétales de fleur. Ici, la valeur textuelle de ces signes est annulée, puisqu’il n’est d’aucun intérêt de les « lire » comme on le ferait pour un texte littéraire, l’accumulation de ces signes produisant un texte incompréhensible. Les signes textuels sont employés pour leur valeur iconique, les ramenant donc au rang d’objets matériels et plastiques permettant de constituer des images. Le texte doit donc être « lu » dans sa compréhension graphique et non littéraire, dans un remarquable travail d’iconotextualité faisant passer les signes typographiques du textuel au graphique.
La « lisibilité » de ce texte est d’autant plus ambigüe que le court-métrage utilise une esthétique épurée : les signes typographiques sont tous en noir et l’arrière-plan est blanc, ce qui respecte la convention du texte imprimé – les exceptions à cette convention étant plutôt rares1. Si cette utilisation d’une convention du texte imprimé vient rajouter à l’ambiguïté des signes typographiques comme objets textuels et graphiques, il n’en demeure pas moins que ce contraste prononcé qui prédomine dans l’œuvre rend très discernables les objets formés par les signes typographiques.
Cette efficacité dans l’identification des objets fait un parallèle avec le propos de l’œuvre. Typolution est en effet une contraction des mots "typographie" et "pollution", et l’oeuvre nous présente le travail de destruction provoqué par la pollution engendrée par l’être humain à l'aide de signes typographiques. Toutefois, ce qui peut paraître comme un message environnementaliste ne peut être ramené trop rapidement à une propagande écologique directe, puisque le court-métrage ne fait qu’exposer une situation et se termine par ailleurs sur un point d’interrogation. Autrement dit, l’œuvre soulève une question sans chercher à y répondre. L’efficacité avec laquelle cette question est soulevée est donc similaire à l’efficacité de l’emploi des signes typologiques : on ne donne pas à lire un message écrit à l’internaute afin de l’inciter à adopter des comportements écologiques, on lui donne à voir par le biais d’un « texte graphique » un phénomène sur lequel on l’invite à se pencher et à mener sa propre réflexion – puisqu’une réflexion s’amorce généralement par une interrogation, soit le symbole qui clôt le court-métrage.
L’utilisation de l’animation de signes typographiques par Olivier Beaudoin est une forme indéniable de nouvelle textualité; le texte devient matériau sculptural plutôt que littéraire et on lui insuffle un mouvement plus radical et ostensible que ce qui avait été amorcé par les jeux de mise en page de Mallarmé avec Un coup de dés et poursuivi par les practiciens de la poésie concrète. Le mouvement qui est insufflé aux signes typographiques dans une forme de « sculpture animée » diffère de l’utilisation immobile des signes textuels propre à la littérature. Mais ce mouvement n’est pas une rupture prononcée entre deux pratiques artistiques : il est plutôt une combinaison originale de deux modes de communication qui rend possible la création d’un court-métrage original, frappant et suggestif.
Il est possible de visionner Typolution dans son intégralité à partir de cette fiche. Nous remercions Olivier Beaudoin pour la permission de reproduction qu'il nous a accordé.
Consultez l'article de Jean-François Legault à propos de cette oeuvre.
- 1. On peut toutefois penser au travail sur la couleur du texte effectué par Mark Z. Danielewski dans ses oeuvres House of Leaves (Pantheon, 2000) et The Fifty Year Sword (De Bezige Bij, 2006)