Université du Québec à Montréal

"Tirer un coup" : De l'expression idiomatique à la logogenèse (Approche ethnocritique du film Full Metal Jacket)

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- Groupe privé -

(Première version achevée, en attente de corrections et d'ajouts) 

L'expression "tirer un coup" est chocante, moins par ce qu'elle désigne que par la façon qu'elle a de le nommer. Si le mot est plus troublant que la chose, c'est que le signifiant présente à la conscience un refoulé qu'elle ne veut pas entendre. En analysant cette expression interdite dans toute société civilisée, nous l'identifions comme révélatrice d'un état de marge propre au jeune homme. Cette expression qui structure inconsciemment notre rapport au monde est révélatrice des névroses que suscite l'idéal de virilité produit par notre civilisation. Le non-civilisé absolu est donc le produit de la civilisation. 

En reprenant la notion de "logogénèse" forgée par Jean-Marie Privat, nous montrerons que l'expression "tirer un coup" offre des motifs sémantiques et un univers symbolique culturellement réglé, qui serviront de base et de toile de fond au film de Stanley Kubrick Full Metal Jacket (1987). Ce film, qui met en scène les tentatives de passage de jeunes hommes à l'état d'homme, est composé de deux parties, de deux décors : le camp de formation, puis le Viêt-Nam ; la toile de fond commune, c'est moins la guerre que la langue. Nous ne posons pas la question Que dit le film sur la guerre ?, mais Que montre la guerre sur le "dire" ? 

Kubrick, loin d'illustrer ou de mettre en scènes l'expression "tirer un coup", interroge la matière même du langage, son tissu propre qui sert de matière première à la bobine de son film. Full Metal Jacket est, littéralement, une mise en pièces de la pulsion mortifère que dévoile l'expression, révélant au spectateur que le malaise dans la civilisation n'est pas un mal étranger à elle, mais tissé dans les mailles du langage qui la constitue. Ainsi pourrons-nous percevoir ce qui fait la spécificité de l'art, en quoi il se distingue des logiques d'adhésion pulsionnelle qui fondent le discours publicitaire ou les produits du show-buisness ; de là, nous pourrons penser le rôle que peut jouer l'art dans la civilisation. 

 

« Tirer un coup » : De l'expression idiomatique à la logogenèse

Approche ethnocritique du film Full Metal Jacket, de Stanley Kubrick (1987)

 

 

Un matériau vulgaire, ignoble, pour un classique 

 

L’expression « tirer un coup » est toute à la violence, par son signifiant plus encore que par son signifié. L’emploi de cette expression dans un espace public, dans un salon mondain ou dans une conversation amicale, est une transgression majeure. Articuler ces trois mots contrevient en effet volontairement à la pacification progressive de nos sociétés, qui se caractérise par une intériorisation des règles de conduite et de langage, que Norbert Elias a appelé la civilisation des moeurs (Elias, 1973, 2002). Plus grave encore, écrire, tracer les lettres qui alignent ces trois mots, « tirer un coup », est, pour paraphraser Stendhal, semblable à un coup de pistolet au milieu d’un concert, quelque chose de grossier, et même pire : de vulgaire, absolument vulgaire. Expression bannie de l’oral et plus encore de l’écrit, « tirer un coup » est pourtant parfaitement intelligible ; je ne vous fais pas un dessin, dit-on communément, en clignant de l’oeil… 

 

Peut-on dessiner, figurer cette expression que chacun qualifie de vulgaire ? Peut-on la représenter, la prendre au mot, ou au pied de la lettre ? La mise en image de cette expression consiste donc à la faire passer de la représentation mentale (ce que la langue allemande nomme Vorstellung) à la représentation picturale (Darstellung). Le film de Stanley Kubrick Full Metal Jacket (1987) prend au mot l’expression « tirer un coup ». Nous montrerons que le film est construit autour de cette expression : Stanley Kubrick élabore une narration et tisse un réseau de signifiants à partir d’elle et autour d’elle, mais ne l’illustre pas pour autant. Full Metal Jacket est un film classique, un film culte même, rangé ) côté de La Ligne Rouge et d’Apocalypse Now dans la catégorie des meilleurs films de guerre. Le complément du nom semble indiquer le thème, sur lequel le film viendrait tenir un propos, voire une thèse ; chercher la thèse que soutiendrait une oeuvre sur un thème revient à établir sa signification. La critique a souvent insisté sur les nombreux thèmes possibles que Kubrick développerait ici à partir du thème de la guerre : l’armée, l’impérialisme (critique politique), la violence, la folie (critique psychologique), la déshumanisation, la condition humaine (critique métaphysique). Nous posons l’hypothèse que Full Metal Jacket est construit moins à partir du thème apparent (la guerre) qu’autour du signifiant de l’expression « tirer un coup » ; ce travail qui part de la notion de logogenèse (Privat, 2009) propose une autre approche de l’oeuvre : le film produit moins un discours sur la violence, l’armée ou la représentation de la guerre, comme l’ont écrit de nombreux critiques, qu’une homologie entre le récit et un rite de passage à l’âge adulte ou âge viril

 

En se consacrant à l’étude du signifiant de l’expression « tirer un coup », de ses implications dans la culture à sa sémiotisation dans une oeuvre cinématographique originale, nous proposerons une étude du sens du film, sans prétendre expliciter ce que serait sa signification. L’exploration du film de Kubrick nous permettra d’envisager comment l’art travaille le matériau culturel qu’est la langue, comment il s’empare de ses signifiants et s’élabore autour du manque, du trou qui les compose, comme le vide au milieu d’un anneau. A l’opposé d’une illustration pornographique du signifié (je ne vous fais pas un dessin), Full Metal Jacket déconstruit les mythes fascinants de la toute-puissance virile. 

 

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Approches linguistiques et anthropologiques de l'expression 

 

Etudier l’expression « tirer un coup » dans une perspective linguistique, puis dans une perspective anthropologique, c’est placer la réflexion face aux ambivalences de la virilité. Qu’est-ce que la virilité ? Nous identifions deux définitions, l’une normative, et l’autre descriptive ; l’une impose ses codes, prescrit ses modèles et fixe ses canons (le jeu de mot est volontaire), tandis que l’autre décrit un état de la vie adulte. La virilité est complexe tout d’abord parce qu’elle oscille entre deux significations : elle est en effet est à la fois l’idéal écrasant du moi c’est-à-dire du « Sur-Moi », de la loi du père (Freud, 1923), et l’état de l’homme mûr qui est passé de l’autre côté de de la jeunesse. La virilité est une notions complexe, et pourrait à elle seule devenir un complexe, au sens psychanalytique d’un « ensemble de représentations et de souvenirs à forte valeur affective, partiellement ou totalement inconscients » (Laplanche et Pontalis, 1967). Aucune expression mieux que « tirer un coup » ne dit l’ampleur de la valeur affective de ce complexe, l’ambivalence de ces représentations nombreuses qui mêlent souvenirs, pulsions de vie et pulsions de mort (Freud, 1920), affirmation de soi et retour du refoulé… Car cette expression dit l’état paradoxal, marginal, du jeune homme dans l’épreuve qui consiste à passer à l’âge viril, épreuve qui se caractérise par une oscillation entre pulsion de vie et pulsion de mort jusqu’à les mêler et les rendre équivalents. Mais la virilité n’est pas seulement un âge objectivement visible comme un vêtement, celui du revêtement de la toge virile chez les Romains : c’est aussi un idéal mortifère. L’expression « tirer un coup » exprime et même revendique la possibilité de passer à l’âge viril, mais aussi l’état d’angoisse permanent, état de marge perpétuel, conséquent à la conscience de ne jamais pouvoir atteindre l’idéal viril, celui du Père, de son phallus, de sa loi, de son canon.

 

Selon une approche stylistique, « tirer un coup » n’est pas un verbe transitif (tirer) suivi d’un complément d’objet direct de ce verbe (un coup), mais une lexie (Molinié, 1993) : c’est une unité de sens insécable, dont la séparation forcée des éléments aboutirait à la perte totale de la signification. « Tirer » + « un » + « coup » : l’addition des trois mots ne dit pas ce que nomme la lexie « tirer un coup ». L’expression « tirer un coup » nomme sans nommer les choses par leur nom… A cela, la doxa dirait qu’il faut nommer un chat un chat. Et voilà pourquoi nous avons besoin, dans ce cas, de l’étude du style, même pour analyser une expression aussi triviale. Car le style, ce n’est pas l’art du beau ni l’art de nommer les choses par leur nom : « Le style n’est rien d’autre que le littéral suprême. Non pas simplement l’art de nommer les choses par leur nom mais un art consommé de ne nommer que la chose par tous les noms » (Cliche, 1992). Le signifié, c'est la chose, unique, obsédante, omniprésente mais innommable, irreprésentable, toujours refoulée. Elle ne peut donc être traitée, si ce n’est … de tous les noms. Tous les noms du monde peuvent alors désigner la chose, tandis que la chose, jamais nommée pour ce qu’elle est, n’est nommée que pour désigner tous les individus du monde que l’on injurie. Casse-toi, pauvre con ! 

 

D’un point de vue linguistique, la lexie « tirer un coup » est un prédicat. C’est l’information de la phrase, placée après le sujet. « Tirer un coup » n’attend pas d’objet. Ce prédicat fonctionne en effet comme un verbe intransitif. Une distinction presque éthique s’établit entre cette lexie et des lexies en apparences identiques : baiser, niquer, enfiler, sauter, toutes ces lexies attendent un objet, indirect ou direct. On se souvient de ce mémorable dialogue d’Audiard : 

« Vous êtes un ami d’Pat’ ou un copain d’Antoine ? Je m’demande s’il la saute… 

- Qui saute quoi

- Antoine, Patricia… »

 

Les connotations extrêmement violentes des verbes transitifs sauter et enfiler réduisent la femme à l’état d’objet, objet du verbe et objet réifié, privé de volonté. Or, l’expression « tirer un coup » ignore entièrement l’objet. Baiser, en emploi intransitif, indique un work in progress, comme Lacan disant dans son séminaire « pour l’instant, je ne baise pas, je vous parle » (Lacan, 1964) : il s’agit là de la jouissance, du plaisir (égoïste) que l’on fait durer en faisant l’amour ; à l’opposé « tirer un coup » connote un instant fugace, non pas l’extension du (bon) temps, mais l’expulsion brutale et rapide (de quoi, si ce n’est de la semence ?). « Tirer un coup » limite donc la relation sexuelle à l’éjaculation, c’est-à-dire à la satisfaction, ce que Freud désigne comme le « But » (Ziehl) de la pulsion (Trieb) (Freud, 1915). Il s’agit moins de jouir que de se débarrasser de ce qui, en nous, nous fait souffrir ; « tirer un coup », ce n’est pas jouir, c’est se soulager. Le sujet soulage le sujet-objet : je suis la plaie et le couteau… La douleur l’emporte, le présent a hâte de devenir passé, le sujet ne voit d’autre objet que lui-même. Cela ressemble fort à une première fois. Le jeune homme a hâte de perdre son pucelage, hâte de mettre fin à ce premier coït sans plaisir ; il est pressé de satisfaire une pulsion personnelle qui attend depuis des années son but, mais surtout d’intégrer le groupe des grands, des autres garçons qui sont souvent, faut-il s’en étonner, les véritables partenaires de cette première relation sexuelle. L’expression est alors légèrement modifiée, l’article indéfini est remplacé par le déterminant possessif : Alors, t’as tiré ton coup ? 

 

L’analyse rhétorique confirme la noirceur dominante de l’expression. Nous sommes face à une métaphore in absentia. La chose est nommée via un détour par l’isotopie des armes à feu, et plus préscisément de la balistique. Tirer un coup attend un complément du nom coup, comme un coup de fusil, un coup de canon. On le comprend, le signifiant a pour signifié éjaculer, et pour synonyme décharger. L'analogie arme à feu / pénis se décline en balle / sperme. L’imaginaire de l’arme à feu est celui d’un objet long comme le bras (« aussi long que le bras, aussi long que la jambe » chante le beau grenadier de la chanson), raide et infaillible ; l’imaginaire de la balistique est celui de la puissance extrême, de la perforation… Bref, il s’agit d’un idéal qui vient nommer la chose (la première relation sexuelle) par des noms qui cachent le réel, réel qui revient la plupart du temps à ce que Stendhal nomme le fiasco : un pénis qui a du mal à se maintenir dressé, la honte qui en découle, l’obsession du sur-moi (ou « idéal du moi, Freud, 1923), l’absence d’éjaculation… La chose est donc nommée par les noms qui la caractérisent le moins ; le style est bien l’art de ne pas nommer les choses par leur nom, mais de leur substituer des noms qui font écran au réel pathétique. Mais si la chose est nommée, que devient l’objet ? L’objet, par son absence, est un vide, un trou dans cette expression. L’expression fait un trou dans l’objet qu’elle perfore, et limite l’objet à un trou. Or, l’objet, c’est autrui. Le signifiant « Tirer un coup » nie autrui ou tue littéralement autrui. Comment peut-on se figurer cela : Eros et Thanatos mêlés, faire l’amour et donner la mort en même temps. Cette expression renvoie aux mythes des premiers temps, des indistinctions archaïques, lorsque le jour et la nuit, le ciel et la terre, la mère et le fils, n’étaient pas encore clairement séparés et distincts. Ces « vérités négatives » du mythe (Lévi-Strauss, 1961) servent de contre-modèles à l’idéal d’ordre des cosmologies et des structures sociales que produisent les civilisations. Mais ces figurations oxymoriques qui allient les contraires sont surtout caractéristiques de la phase de marge que nécessite le rite de passage (Van Gennep, 1909). A quel rite de passage correspond cette marge qui lie la première fois que l’on se sert d’une arme à la première fois que l’on fait l’amour ? On pense au service militaire, à l’éphébie athénienne analysée à travers la figure mythique du chasseur noir, sorte d’opposé radical de l’idéal de l’hoplite, de l'homme civilisé (Vidal-Naquet, 2002).

 

L’expression « tirer un cou », dans une approche pragmatique, nous place face à un paradoxe : cette expression, bannie de tous les lieux civilisés, est pourtant intelligible de tous. En disant Je ne vous fais pas un dessin, je rends visible le signifié de l’expression dans l’esprit de mon interlocuteur, c’est-à-dire que j’illustre mentalement ce que je prétends cacher par la dénégation (Freud, 1925, IX) : je dévoile ce que je prétends voiler. Comme dans la prétérition, la phrase Je ne vous fais pas un dessin soulève le voile du signifiant et rendre visible l’obscène du signifié sans enfreindre les codes de la civilisation des moeurs. Fausse pudeur, donc, qui veut choquer l’interlocuteur, qui dit que l’emploi de cette expression contrevient à la situation d’énonciation. S’en tenir au signifiant suppose un interlocuteur complice des codes, donc une situation d’énonciation en marge de la civilisation. La situation du jeune homme est marginale, elle se caractérise par un entre-deux : sorti de la cour d’école et de la domus familiale, le jeune homme n’est pas non plus encore agrégé (Van Gennep, 1909) au monde des adultes, assigné à une place sur un lieu de travail et assigné à la place de Père dans une nouvelle domus. Cette expression est donc nécessairement employée dans un entre-deux temporel et spatial : à l’âge de jeune homme, dans les marges ensauvagées du monde. 

 

L’emploi de cette expression ne dit pas le désarroi d’une société décadente ayant perdu ses (re)pères, mais au contraire le passage nécessaire vers l’âge viril. La marginalisation volontaire ou instituée du jeune homme n’est qu’une étape n’ayant pas d’autre but que de faire passer le jeune homme à l’état normal d’homme viril. C’est une transgression des codes, à commencer par ceux du langage : transgresser, c’est mêler ce qui avait été séparé par l’instauration de la civilisation, le jour / la nuit, l’homme / l’animal, la vie / la mort. Cette expression ne se dit pas au grand jour dans les centres de la vie civile. Mais elle dit déjà, en même temps, le besoin d’un retour à l’ordre social, retour à l’ordre moral, retour à la loi du Père. Le garçon qui a perdu sa virginité dira qu’il a « tiré un coup », qu’il est devenu un homme. Il vise donc une forme de normalité, celle de la figure phallique du Père, qui sert de maître-étalon… c’est-à-dire de norme qui prend la forme d’un idéal inégalable. Cette confusion entre la norme sociale et "l’idéal du Moi" (Freud, 1923) c'est-à-dire le Surmoi, est créatrice de complexe ; le canon du père brime le Sujet, parce qu’il incarne à la fois la moyenne habituelle et l’extraordinaire. Le canon, en Grec, c’est la loi, la règle, la norme commune (en Grec moderne, κανονικός signifie normal, conforme à la moyenne, à l’habitude) ; en Arabe, le قانون c’est la Loi prescrite par Dieu (le Grec le traduit par Νόμος) ; en Albanais, le kanùn est le code de l’honneur qui impose aux jeunes hommes, les gjak, de payer la dette de sang (Kadaré, 1980), de tuer un membre d’un clan ennemi - une seule balle est autorisée par le kanùn (Kadaré, 1999). Le canon du Père, c’est l’extraordinaire puissance qui s’impose comme normalité, c’est le dogme et la routine. Après avoir tiré un coup, le pénis reprend une forme dérisoire, tandis que le Surmoi rappelle que le phallus du père reste droit et long comme le canon d’un fusil. L’expression dit moins le désarroi d’une société que le malaise dans la civilisation (Freud, 1929). Le retour à la norme sociale correspond à un permanent écrasement par le Sur-moi. 

 

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Full Metal Jacket : Le coup du signe 

 

Après avoir analysé les implications culturelles de l’emploi de l’expression « tirer un coup », passons maintenant à l’analyse du film de Stanley Kubrick intitulé Full Metal Jacket (1987). L’expression « tirer un coup » donne au film sa forme, sa structure, sons sens ; c’est cette expression qui engendre le film, qui lui sert de matrice. Jean-Marie Privat parle alors de logogènèse : la culture est dans la langue, or c’est la culture qui sert de matériau à l’art ; l’art est donc structuré par les univers symboliques de la culture, travaillé par l’imaginaire culturel de la langue. Full Metal Jacket met moins en scène la réalité guerre du Viêt-Nam que le retour du refoulé qui déborde de nos représentations culturelles, comme dans l’expression « tirer un coup ». 

 

Le titre du film est énigmatique. Il ne désigne pas le héros du film, ni le lieu, ni le thème. Ce titre recopie ce qui est apparu comme écrit quelque part, comme le paneau de signalisation Ralentir Travaux devenu titre du recueil de Breton, Eluard et Char… Où lit-on « full metal jacket » ? sur les boîtes de munitions : « full metal jacket », littéralement intégralement couvert de métal ou chemise entièrement métallique, est un qualificatif pour indiquer les propriétés des balles contenues dans la boîte. La balle est nommée de manière métonymique par son seul qualificatif. En intitulant ainsi son film, Kubrick fait d’une indication industrielle une lexie à part entière. Que peut être le sens d’un film intitule Full Metal Jacket ? Devenu lexie, ces trois mots accèdent au statut de signifiant. Le signifiant semble plus puissant poétiquement que le signifié (la balle qui perfore, qui fait un trou, qui tue). On connaît des films dont le titre est une arme (Excalibur, Le vieux fusil, etc.), mais il s’agit ici ni de l’arme, ni même du projectile, mais de ses qualités, de sa composition. Le style, c’est le littéral pur, c’est s’arrêter sur le signifiant qui, dans la conversation, s’annule presque instantanément au profit du signifié, de la signification. Le titre du film prend le parti du signifiant et attire l'attention du spectateur sur la réalité du langage. Quel refoulé, quel complexe se dit dans le signifiant en même temps qu’il s’y cache ? Le Moi reconnaît l’inconscient, mais ne peut l’exprimer que « dans une formule négative », dit Freud (Freud, 1925) ; la « résurgence du matériau refoulé » est audible dans la dénégation mais aussi dans l’attention portée au « tissu même de la parole parlée » (Péraldi, 1988). En articulant ces trois mots écrits, « full metal jacket », le titre même du film oblige le spectateur, avant même de rentrer dans la salle, à porter son attention sur le tissu de la langue qui tissera la bobine, le film au sens propre, sur lequel se déroule le récit. Ne perdez pas le fil, dit déjà le titre : car si le récit semble étrangement construit, le fil narratif est tout entier à chercher dans le tissu de la langue

 

La critique a insisté sur la structure complexe du film. La plupart des critiques ont vu deux parties : Amérique / Viêt-Nam, Formation militaire / Guerre, ou trois parties : Camp de formation / Saïgon / Hué. Mais les parties ne sont pas de longueur égale, ce qui a pu faire penser à une structure boiteuse. Le personnage principal n’est pas clairement identifiable. La première partie met en scène la formation militaire qui permet aux jeunes hommes de passer de l’état d’engagés à celui de marines ; une figure se distingue, celle du sergent Hartmann, dont les insultes proférées à l’égard des engagés ont assuré le succès populaire du film. Le succès populaire du film semble parfois entièrement dû au personnage du sergent et à l’interprétation de Ronald Lee Ermey. Les engagés forment une masse rendues indistinctes par l’uniforme, et par le rasage des cheveux qui sert d’entrée dans le film. Les cheveux tombent sous la tondeuse, les jeunes hommes perdent d’abord leur apparence propre pendant que défile le générique. La scène inaugurale s’ouvre sur un long plan-séquence en traveling arrière - typique chez Kubrick (Ciment, 1980)- qui place, au centre de l’image, le sergent  avançant au milieu des recrues rasées ; la suite de la scène voit l’émergence de quelques individualités, aussitôt sur-nommés par le sergent : « Blanche-Neige », « Cow-Boy », « Jocker » (Guignol en Français), et « Baleine ». De ces quatre-là, Baleine apparait comme le plus important. La première partie du film met principalement en scène les brimades et humiliations que subit Baleine de la part du sergent, puis le processus qui fera de lui une figure de Bouc-émissaire lynché par tous les autres engagés. Le dernier tiers de la première partie met en scène Baleine devenu fou, marginalisé parmi les marginalisés que sont les engagés, mais se révélant un excellent tireur. Baleine, complètement asocial, ne parle plus qu’à son fusil. La première partie s’achève sur une scène dans les toilettes du camp, lieu en marge dans un espace en marge de la société : Baleine, méconnaissable, le regard semblable à celui d'Alex dans Orange Mécanique ou de Nicholson dans Shining, tue, sous le regard stupéfait de Jocker, le sergent avant de se donner la mort avec le même fusil. C’est la seule occurence, dans le dialogue, de la lexie full metal jacket, que Baleine articule lentement, laissant entendre chaque syllabe (le « tissu même de la langue parlée ») tandis qu’il charge les balles dans le fusil qui les déchargera sur le sergent puis sur lui-même. La première partie fait ainsi mourir les deux personnages qui semblaient les personnages principaux. La seconde a pour héros Jocker au Viêt-Nam. 

 

Si Baleine devenu fou se met à parler à son fusil, c’est parce que le sergent insiste pour que le soldat établisse une relation de nature sexuelle avec son fusil. Le fusil est désigné par plusieurs signifiants : copain, un nom-de-fille, celui-avec-qui-vous-tirerez-votre-coup. C’est toute une série de « glissements métonymiques » (Rigolot, 1985) qui se déplie pour nommer le signifié fusil. Les engagés doivent, lors d’une cérémonie, coucher avec leur fusil auquel ils donnent un nom de fille ; le fusil, ainsi nommé, devient un substitut de l’objet érotique : je baise mon fusil à la place d’une fille. Mais le fusil, dans la prière, est désigné par « mon seul vrai copain » ; le fusil / amante devient ici fusil / ami, voire fusil / amant. L’absence de femmes et la solidarité prolongée crée des rapprochements homosexuels, non pas au centre du camp, mais dans sa marge, dans les toilettes encore ; le spectateur assiste à une sorte de transaction entre Jocker et Cow-Boy : 

"J’carrerais bien mon os à moelle dans ta frangine. 

-Pourquoi pas. Tu proposes quoi, en échange ? 

-J’sais pas. Tu veux quoi ? 

-J’sais pas. J’vais y réfléchir »

 

Les signifiants « os à moelle » et « frangine » nomment la chose obsédante en ayant recours à des termes familier. La frangine est un signifiant féminin animé, et désigne en soi un individu féminin, mais dans le contexte, le signifiant "frangine" sert à nommer une partie du corps masculin. Cette partie intime, taboue, est tue en même temps que nommée par un signifiant désignant un être féminin. Le signifiant dit le refoulé féminin obsédant et absent, en même temps qu’il masque le signifié trou : il fait passer l’acte sexuel homosexuel pour une relation hétérosexuelle (un rapport sexuel entre un soldat et une jeune fille, la soeur de son camarade). Le trou prend la forme humaine d'une jeune fille (la frangine) dans cette pharse, tandis que la jeune fille est réduite à un trou. La discussion sur l’acte sexuel se focalise sur la transaction (l’échange), et fait passer le tabou de l’homosexualité sous le masque du business. Jocker et Cow-Boy, lors de cette scène, ne manient pas le fusil, mais le balai afin de nettoyer les latrines. Il n'est question que de "Tirer un coup", bien sûr ; il ne s'agit ici que de "carrer" la chose (représentée par un fusil ou un balai) dans un trou (de balle), se soulager de sa pulsion comme on va aux latrines.  Au cinéma, l'accesoir et le décor prennent valeur de signifiant...

Le fusil enfin est « celui-avec-qui-vous-tirerez-votre-coup » : le fusil / amant devient le fusil / sexe (toujours) dur. Il n’est plus le substitut de l’objet du désir, mais le substitut du membre viril : il est ici la métonymie de la virilité. L’homologie est faite entre Tirer un coup de fusil et éjaculer. La balle est ce qui est projetée lors de la jouissance fugace. Si l’on met cette expression en rapport avec le titre, on se tend compte que le fusil n’est pas l’objet de la jouissance, il n’en est que le vecteur. Fusil / femme ou fusil / sexe bandé, c’est toujours un vecteur : l’objet n’est ni le partenaire (masculin ou féminin) ni le canal (le canon) ; le sens n’est pas plus le phallus que le partenaire, mais dans la nature du coup tiré. La question se pose alors : Qu’est-ce qui est tiré, quand on tire un coup ?

 

 

Passer, trépasser : l'initiation de jeunes hommes

 

 

Le film Full Metal Jacket fonctionne comme un rite de passage, celui du passage de l’enfance à l’âge adulte. Les deux parties sont liées, elles s’enchainent de manière logique pour former un ensemble cohérent, dont la cohérence repose justement sur la mise en tension des contraires : enfant / adulte, masculin / féminin, sexe / mort, avilissement / héroïsme. Dès le générique, qui se déroule pendant que l’on voit les protagonistes se faire tondre un à un, la musique indique le lien entre les deux parties : le son de la scène est coupée, mais on entend la chanson « Hello Viet-Nâm » chantée par J. Wright dont le refrain est « Goodbye my sweet home / Hello Viet-Nam ». L’entrée dans le camp d’entrainement est donc un arrachement au foyer, à la domus familiale et nationale, mais en vue d’un départ pour la guerre en Asie. Cela correspond à la première phase du rite selon l’anthropologue Arnold Van Gennep, qui établit la structure ternaire du rite de passage : séparation / marge / agrégation

 

Les jeunes recrues sont d’abord séparées de la domus, arrachés aux espaces de la vie familiale et citoyenne, ils sont cantonnés dans une base militaire fermée dont ils ne peuvent sortir. Pendant huit semaines, ils vivent ainsi en marge du monde, ce qui correspond à la deuxième étape du rite, selon Van Gennep. Huit semaines, c’est le temps de leur formation. Les jeunes hommes sont formés au métier des armes en vue de devenir des marines. Ce corps d’élite de l’armée américaine nécessite le passage d’un brevet après les huit semaines de formation. Tous les protagonistes du film obtiennent leur brevet ; même le gros Baleine, que le sergent a maintes fois humilié, est breveté, grâce à ses progrès fulgurants qui ont fait de lui un redoutable tireur. Mais l’enjeu du film n’est pas de représenter la réalité de la formation d’un corps militaire particulier, sinon la première partie suffirait. En effet, à la fin de la première partie, on voit les jeunes soldats défiler dans les rues, dans une ville, sous les applaudissements de la foule. Retournés à la civilisation, à l’espace public, au campus, ils sont agrégés au corps des marines et ont trouvé leur place dans la société américaine de laquelle ils s’étaient retirés pendant huit semaines. Le film serait achevé, s’il avait prétention à représenter cette réalité-là. Or Full Metal Jacket ne représente pas un passage à l’état de marines, mais fonctionne de manière homologique comme un rite de passage. On ne peut pas parler d’un documentaire sociologique sur l’armée, ni une ethnographie des jeunes soldats américains. 

 

Le film montre la position marginale des jeunes gens, ce qui fait d’eux ce que Marie Scarpa appelle un « personnage liminaire » : à la fois sous-initiés et sur-initiés, ils ne peuvent trouver de place nulle part dans la société. Ils sont en effet trop grands pour rester des enfants ; l’âge des premières idylles est bien terminé, c’est ce que leur dit le sergent dès leur arrivée, en martelant que l’époque des roucoulements amoureux avec des jeunes filles « en slip rose de pucelle », c’est fini… Ils sont trop initiés pour cela, la plupart ayant déjà perdu leur pucelage. Mais ils sont sous-initiés en ce qui concerne la guerre. Les huit semaines de formation servent à leur apprendre à devenir des tueurs. Ce n’est pas une formation militaire qui apprend à survivre dans les conditions extrêmes de la guerre, ce n’est pas une formation qui apprend l’endurance du guerrier. Cette formation est une aliénation : non pas grandir, mais devenir autre. « Défense de rire et défense de pleurer », hurle le sergent comme commandement dès la première scène. La voix-off fait entendre le journal que tient Jocker au milieu de la première partie : « Le corps des marines ne veut pas des machines, il veut des hommes sans peur. » Le passage à l’état d’homme, c’est l’accession à la virilité. Or la virilité, c’est le contrôle, la maîtrise totale des émotions : ne pas rire, ne pas pleurer, ne pas avoir peur. Tout ce qui fait le propre de l’homme est interdit. La virilité, qui se présente comme la norme naturelle du genre masculin, repose donc sur une véritable négation de l’homme. Un homme viril : il s’agit bien d’une expression oxymorique. 

 

La phase de marge, de liminarité, avilit, brouille les repères ; Vidal-Naquet montre bien comment, dans la Grèce antique, cette marginalité voulue par le service militaire, fonctionnait de manière dialectique avec la civilisation : l’ensauvagement transitoire n’avait d’autre but que de réintégrer ensuite l’individu à la société, à la civilisation. Or, Full Metal Jacket montre comment la marginalité de la formation militaire aliène durablement le sujet, lequel passe certes à l’état de marine mais deviendra un être incapable de vivre en société. Le sergent n’a de cesse de réprimer les émotions des jeunes : la faim, la fatigue, la peur, sont interdites. La déshumanisation s’entend dans les centaines différents qui nomme les recrues ; le style, c’est le littéral absolu, qui désigne toujours la chose (ici l’être humain devenu chose) de mille signifiants. Hartmann appelle les jeunes gens « tas de punaises », « tas de connards », « gras du bide », « tas de merdes, de vomi », « sac-à-foutre ». Le sexe féminin, l’animal choisi parmi la vermine, la déjection anale, buccale, séminale. Le glissement métonymique va de l’animal, à la partie du corps, puis de la partie du corps à sa déjection. « Tirer un coup » : l’enjeu glisse de l'arme à la balle tirée ; la jeune recrue désignée par une partie du bas corporel finit, dans le tissu des signifiants, rejetés dans la déjection corporelle. 

 

Hartmann interdit les émotions, avilit et dégrade ses recrues : il n’en faudrait pas plus pour parler d’aliénation. Mais il ajoute à cela l’obligation de libérer toutes les pulsions sexuelles et criminelles. Or, la civilisation repose justement sur le « renoncement pulsionnel » (Freud, Le Malaise dans la Civilisation) : la civilisation montre que devenir homme, c’est accepter de sacrifier ses pulsions afin de construire une vie commune avec ses semblables. Le sergent, à l’inverse, ritualise le défoulement pulsionnel. Dans une scène pathétique composée d’un long plan séquence en travelling arrière, le sergent mène une procession dans le dortoir ; la main gauche tient le fusil sur l’épaule tandis que la droite empoigne les parties intimes. Lui est habillé, les recrues sont presque nues, en habit de nuit (caleçon et débardeur). Ils défilent en hurlant : « ça c’est mon flingue, et ça c’est mon dard ». Le soldat est donc celui qui se limite à ces deux métonymie : un sexe et un fusil. Ainsi pourra-t-il devenir un tueur. La première partie montre que, sans avoir été à la guerre, les jeunes hommes peuvent devenir des tueurs. La dernière scène de la première partie montre le meurtre du sergent Hartmann par Baleine et son suicide. Baleine, tout juste breveté et nommé au troisième d’infanterie, est devenu complètement fou. Assis sur des latrines, presque nu, il manipule son fusil et les balles, répète les exercices de manipulation d’armes en hurlant. Il n’a plus peur du sergent ni de la mort. Devenu homme-fusil, il tire sans hésiter sur son sergent qui l’insulte, puis se donne la mort. Toutes les pulsions sont libérées dans ce bain de sang final. Les premiers coups de feu de la guerre, dans Full Metal Jacket, c’est le meurtre d’un formateur et le suicide d’une recrue. Baleine est devenu un homme sans peur. Il a tiré son coup. Fin de la première partie.

 

La seconde partie met en pratique la leçon mortifère du Sergent. La tragédie, qui n'était jusque là qu'un fait-divers, devient une tragédie historique. Ce qui était joué et simulé dans la première partie est appliqué dans la seconde. Le sexe et la mort se déchainent dans un carnage insoutenable. Les soldats américains passent de la masturbation à la consommation massive de prostituées, et du tir sur des cibles à des massacres. La guerre, ils ne la font pas qu'aux insurgés communistes : ils s'attaquent à un pays tout entier, détruisant les villes et tirant sur les populations civiles. Jocker est devenu journaliste ; son travail consiste à falsifier l'information concernant une guerre impopulaire, afin de remotiver les troupes et l'opinion publique américaine. Il se rend sur le terrain, "le merdier", à bord d'un hélicoptère ; un soldat tire à la mitrailleuse sur les agriculteurs. Les mouvements compulsifs et éructations du tireur font penser à un coït : tirer à la mitrailleuse sur des femmes et des enfants est filmé par Kubrick comme le "tirer un coup". L'expression libidineuse et les paroles grivoises du tireur finissent de mettre en scène cette homologie. Deux jeunes filles viêt-namiennes se distingent dans cette deuxième partie : la très jeune prostituée et la très jeune combattante. La seconde partie s'ouvre, juste après la scène de la mort de Baleine, par une rue de Saïgon où s'avance une prostituée. Guerre et prostitution sont mises en parallèle. Jocker, à la terrasse d'un café, explique à son ami que la plupart des prostituées sont des espions du Viêt-Cong. La combattante et la prostituée sont ainsi rapprochées dès la première scène. Plus loin dans le film, une jeune prostituée est amenée à la section que dirige Cow-Boy et qu'a rejointe Jocker. Cow-Boy s'adresse à elle : "Bonjour, jeune écolière, moi je suis un écolier" ; dans cette scène de pédophylie, le jeune homme se revendique encore enfant. Toute la section va "tirer un coup", et c'est cette très jeune fille qui va devoir subir les assauts de chacun de ces soldats. Peu de temps après, Cow-Boy est tué par un mystérieux tireur, que la section va déloger d'un immeuble. Lorsque ce tireur est découvert, on se rend compte qu'il s'agit d'une très jeune combattante. Blessée à mort, elle demande à ses ennemis d'être achevée ; Jocker se propose de l'achever, non par sadisme mais par compassion. Sans plaisir, Jocker s'efforce de tirer le coup fatal. Pendant une minute, insoutenable, Jocker s'efforce de devenir le "tueur" que le sergent Hartmann voulait faire de lui. Le coup part. Jocker est un tueur, mais son regard triste n'est pas celui du libidineux tireur de l'hélicoptère. 

 

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L'art et le sens 

 

Kubrick montre dans la guerre dans son horreur. Le carnage et la sexualité interdisent toute adhésion de la part du spectateur. L'auteur d'Orange Mécanique déconstruit la fascination pour la violence qui existe en tout homme sous forme de la "pulsion de mort". Kubrick est un artiste. Sa question est celle du sens, bien plus que celle de la signification. Il se distingue d'un film qui proposerait un discours sur la guerre, à l'instar du Platoon d'Oliver Stone. Stone propose un discours sur la guerre, sur la justesse de la cause que soutient cette guerre, tout en dénonçant les soudars. Kubrick ne donne aucun discours, ne défend aucune cause, ne dénonce rien. Il veut mettre à nu ce que la guerre révèle de l'être humain. La violence qu'il montre est inhérente à l'être humain, autant que la volonté de paix. Jocker a inscrit sur son casque sa devise "Born to Kill" et arbore un emblême de paix. Le sens, ce n'est pas la signification des signes, mais leur mise en tension. Interrogé brutalement par un supérieur qui lui demande ce que "signifie" cela, Jocker commence par répondre : "pas grand'chose". En effet, nous ne sommes pas dans la signifiance. L'idéologie virile, brute, univoque, ne supporte pas la mise en tension qui ne voit pas un principe écraser son contraire. Jocker, sommé de s'expliquer, cite Jung, et la double postulation de l'homme ; mais sa voix n'est pas celle de la conviction. Le discours proposé ne peut donner une synthèse satisfaisante. "Full Metal" ne peut se rédure à aucun discours. C'est un film : il met en tension les signes. Après la mort de la jeune combattante, la dernière scène montre les soldats de retour au camp ; après avoir vu mourir leurs amis et semé la mort, ils chantent la chanson puérile de Mickey. Les éternels écoliers ont fait l'école buissonnière. La voix-off fait entendre les rêveries de Jocker, qui dit rêver à des "scènes érotiques", persuadé d'avoir gravé son nom dans l'Histoire. L'Histoire est faite par des enfants attardés. Jocker et ses compagnons ne sont pas passés à l'âge adulte. Ils restent dans cet entre-deux qui allie la mort et la chanson de Mickey. Jocker conclut : "je n'ai pas peur". Il confirme ce que la première partie affirmait : "le corps des marines ne veut pas des machines, mais des hommes sans peur". Jocker est devenu un tueur, un homme sans peur. Il a sacrifié une part de son humanité sans passer à l'âge d'homme. 

 

 

 

Bibliographie

 

 

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