L’éloignement historique des avant-gardes artistiques apparaît notamment dans la manière dont nous sommes aujourd’hui portés à effectuer un tri parmi leur héritage: un tri entre l’objet encore vivant de notre attention et ce que l’on refuse ou ignore, entre ce qui nous parle encore et ce qui nous apparaît inintelligible ou dépourvu de sens. Nous nous intéressons par exemple encore aujourd’hui aux riches productions théoriques des avant-gardes, alors que leurs dispositions à constituer des groupes révolutionnaires puis à s’en exclure les uns les autres nous apparaissent obsolètes.
Jusqu’à quel point un tel tri est-il possible? En transplantant ces théories hors du contexte d’interaction spécifique où elles sont nées, n’en modifie-t-on pas le sens? Ne risque-t-on pas, pour ainsi dire, d’en arracher les racines?
Notre communication portera sur cet enracinement social. Nous nous intéresserons à un cas particulier, celui des groupes situationnistes –«l’Internationale situationniste» et différentes organisations qui s’en sont inspirées. Nous nous demanderons s’il existait une adéquation entre la manière dont ces groupes concevaient le monde contemporain comme une «société du spectacle» et les règles d’interactions qu’ils s’étaient données. De quelle manière ces deux éléments –la théorie et les règles d’interactions pratiques de ces groupes– se répondaient-ils? Pour répondre à cette question, nous nous tournerons vers la méthode dite d’analyse culturelle développée par l’anthropologue Mary Douglas. Nous tenterons ainsi d’imaginer la nature des modifications à venir dans l’héritage théorique avant-gardiste.