Durant près de deux siècles, la littérature s'est reconnue au miroir de la révolution, croyant trouver en elle une doctrine de l'historicité et une pensée du politique (Jenny, 2008). Depuis que Victor Hugo s'est écrié: «je suis ce Danton! je suis ce Robespierre!» (1999: 45), la littérature s'est emparée de l'idée de révolution pour définir le temps heurté et discontinu de son propre déploiement et négocier la distance qui la sépare de l'espace politique. Que le modèle en soit la prise de la Bastille, les massacres de la Terreur ou l'Octobre rouge, la révolution constitue à chaque fois une figure du souvenir que l'on arrache à son contexte originaire d'apparition et qui, tel un mythe, se trouve transformé en schème d'interprétation permettant de dire le présent de la littérature et les lieux d'exercice de sa puissance. Cette tradition, Maurice Blanchot l'a résumée en un impératif catégorique: «Tout écrivain qui, par le fait même d'écrire, n'est pas conduit à penser: je suis la révolution, seule la liberté me fait écrire, en réalité n'écrit pas.» (1949: 311)
Or, le paradigme de la révolution littéraire s'est souvent doublé d'un singulier rappel de l'épisode biblique de l'Exode, qui rapporte l'émancipation des fils d'Israël hors de l'asservissement et leur traversée du désert en quête de la Terre promise. Cette séquence narrative où s'entremêlent les thèmes de l'oppression et de la liberté, de la loi et de la révolte, de l'ancien et du nouveau, a non seulement imprégné la mémoire juive, de la révolte des Maccabées au sionisme, mais sa dimension exemplaire a fasciné des générations derévolutionnaires et de réformateurs, depuis Cromwell et les puritains anglais jusqu'aux théologiens de la libération en Amérique latine, son souvenir se manifestant aussi bien chez Benjamin Franklin que chez Karl Marx (Walzer, 1986). Il n'y a pas à s'étonner que la figure de l'Exode hante aussi les débats français sur la littérature et le politique.
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Cet article a d'abord été publié dans la revue @nalyses (vol. 5, n°3) en 2010.
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