Le contrat social en ligne

Entre une infinité de difficultés qui se présenteront d’elles-mêmes à l’esprit, qu’on pese seulement celle d’avoir rassemblé un assez grand nombre de collegues, qui, sans se connoître, semblent tous concourir d’amitié à la production d’un ouvrage commun. Des gens de Lettres ont fait pour leurs semblables & leurs égaux, ce qu’on n’eût point obtenu d’eux par aucune autre considération. C’est là le motif auquel nous devons nos premiers collegues ; & c’est à la même cause que nous devons ceux que nous nous associons tous les jours. Il regne entre eux tous une émulation, des égards, une concorde qu’on auroit peine à imaginer. On ne s’en tient pas à fournir les secours qu’on a promis, on se fait encore des sacrifices mutuels, chose bien plus difficile !

Denis Diderot, article « Encyclopédie », l’Encyclopédie.

Ce qui frappe, puis exaspère, puis devient invisible — pour frapper de nouveau au gré des situations — avec la vie en ligne, c’est l’absence d’engagement entre les personnes. Le troll n’était qu’un symptôme avant-coureur de la réalité que nous avons appris à tolérer, qui est que notre capacité à partager des affinités semble venir avec une capacité égale à « tolérer », et non pas accepter, autrui dans sa différence.

Les discussions en ligne, sur le mode de l’empilage frénétique, sont d’épouvantables caricatures : il suffit d’imaginer à quoi ressemblerait une conversation réelle si on permettait à ses protagonistes de survenir, jeter son point de vue, argumenter un peu, et s’en aller, pour revenir plus tard… ou pas.

Bien sûr, il y a davantage de civisme dans certains milieux que d’autres. Mais même là, tomber dans la facilité — lancer son opinion et voir comment elle rebondira, recevoir les autres contributions avec distance — est une attitude convenue, presque une nouvelle éthique du sage qui affecte de ne pas vouloir imposer son opinion, et daigne partager son intelligence.

Mais les enjeux d’aujourd’hui sont bien trop graves et complexes. Il faut s’engager collectivement à s’instruire mutuellement, à chercher, à se diviser le travail cognitif.

Il se produit exactement cela : nous nous instruisons tous mutuellement, nous cherchons les uns pour les autres et nous divisons le travail.

Mais pas délibérément. Nous constatons a posteriori que c’est ce que nous faisions, et que nous continuons à faire… mais nous répugnons à briser cet enchantement en nous affirmant, tacitement ou expressément, prêts à nous engager dans un contrat social.

Legocentrisme

Ce n’est pas même du logocentrisme, que cet enthousiasme des Scientifiques orthodoxes pour les assemblages de molécules et les propriétés qui en émergent.

C’est du legocentrisme.

Comme les scientifiques du XIXè siècle qui métaphorisaient l’hypnose et la psyché au moyen de l’électricité, qui se prosternaient devant la Fée électricité, nos scientifiques ont dans leur imaginaire moléculaire des idées de jeu et de construction par blocs qui trahit un enthousiasme d’enfance pour le jeu par excellence du scientiste en devenir, ce jeu danois créé en 1949.

Eh, quoi, ce n’est pas bien, de garder son cœur d’enfant quand on cherche à comprendre la Vie?

Tout dépend du type d’enfant que l’on était. Rupert Sheldrake, biologiste, a appris à ses dépens que certaines intuitions de l’enfance quant à la nature de la Vie sont interdites. C’est encore la vieille géguerre entre ceux qui jouent aux légos dans leur chambre et ceux et celles qui se promènent, songeurs, dans la nature.

The Sense of Being Glared At

What Is It Like to be a Heretic?

In September 1981 the prestigious scientific journal Nature carried an unsigned editorial (subsequently acknowledged to be by the journal’s senior editor, John Maddox) titled ‘A book for burning?’ (Maddox, 1981). It reviewed and damned Rupert Sheldrake’s then recently published book A New Science of Life: The Hypothesis of Causative Formation (Sheldrake, 1981) and raised a storm of controversy whose fall-out is still very much with us. Up to this time Sheldrake was a well-respected up-and-coming plant physiologist and the recipient of academic honours including a fellowship at his Cambridge college. The furore that grew out of the assault in Nature put an end to his academic career and made him persona non grata in the scientific community. Over twenty years later this journal still runs the risk of ostracism by publishing his work. What can explain this deep and lasting antagonism ?

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Quand vous vous ferez vulgariser par un scientifique qui semble maîtriser tout un ensemble d’atomes cognitifs, et leur assemblage, demandez-vous s’il y a une place pour la forme de l’ensemble, une place autre que secondaire. Demandez-vous si la forme est ce qu’il (re)créée, tel un Démiurge, par ses raisonnements, ou si c’est ce qu’il voit dans la nature.

Rares sont les Scientifiques qui pensent la forme. Autrement que comme une propriété émergente.

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À propos du lien vers Wikipédia:logocentrisme : Les wikipédiens ont bien peu à dire sur la logocentrisme, « la tendance d’un discours à s’enfermer dans la propre logique de son langage et à le considérer comme modèle de référence ». Ahem.

HIT : 25 février, 7 mars, 14 avril

 


HIT14avril

 

Pourquoi et comment s’inscrire sur Wikipédia

Vous lisez ce texte parce que vous vivez (aussi) sur Facebook. Probablement.

Il y a, parmi les choses que vous avez dites, les liens que vous avez j’aimés et partagés, dans cet empilage de données que vous avez crues précieuses et qui n’est maintenant accessible qu’aux robots de Facebook (et à ces personnes et entreprises qui entreprendraient de vous stalker en ligne (si vous les intéressez)), il y a dans cette pile de paroles des informations que vous devriez partager avec le monde, et non pas seulement vos amis Facebook.

Devoir moral?

Il n’existe qu’un endroit sur le Web qui sert à consigner les informations valables, c’est Wikipédia. Les autres encyclopédies en ligne sont pratiquement inconnues (Ekopedia, Conservapedia, Citizendium….) ou n’en ont rien à faire, de votre opinion (les versions électroniques des grandes encyclopédies-papier et les autres qui sont à comité de censure, euh, je voulais dire à comité de lecture).

Wiki veut dire « vite ». Il n’y a pas que l’inscription qui est « vite », l’édition aussi. Et l’intervention dans les discussions sur le contenu aussi. J’ai vu des consensus artificiels se former dans la secte des Wikipédiens, les deux bras vous en tomberaient. J’ai vu des contributions d’anonymes se faire effacer sommairement malgré leur valeur évidente. Les Wikipédiens bien incrustés aiment bien annuler les contributions de ceux qui arrivent de nulle part. Ça les rassure. Et puis c’est bon pour la testostérone.

Se faire un compte sur Wikipédia, c’est un peu comme se faire faire une carte à la bibliothèque publique. On ne sait jamais quand ça va être utile, mais on est content de l’avoir fait avant que le besoin s’en fasse sentir.

Ah, oui, j’oubliais. Allez sur (cliquez cette image) :

Cliquez "créer un compte"

et suivez le guide. Je vous conseille de vous donner un pseudonyme qui ressemble à votre vrai nom, question de briser cette culture du geek-caché-derrière-son-clavier.

Et demandez l’aide d’un gentil Wikipédien inclusionniste comme moi.

Quand la démocratie découvrira l’écriture

L’idéal grec d’hommes (de mâles) d’une même ethnie (athénienne) ayant tout le temps (étant assez fortunés) pour débattre et voter sur la place publique n’est pas adapté aux valeurs de notre époque. On ne doit pas discriminer en fonction du genre (pensons aux femmes-à-la-maison), de la classe (pensons aux personnes qui doivent travailler) ou l’origine (pensons aux « étrangers » qui font face à plusieurs barrières invisibles gênant leur épanouissement dans leur société d’accueil et à plus forte raison dans la sphère politique). Les modes d’expression actuels (forums, réseaux sociaux, courriels, conférences multimédia, blogs, wikis, etc.) sont autant de moyens de délibérer et de s’approcher du consensus. Ce sont également des modes de communications qui aplanissent les différences de conditions.

Ces méthodes de communication permettent d’aborder plusieurs questions en même temps, de n’aborder aucune question en particulier, de prendre le temps de répondre, d’apporter des informations nouvelles, de dormir et de rêver, etc.

Peut-on imaginer une autre forme de démocratie qui ne serait pas dépendante du numérique? Tout cela n’est-il pas qu’un bel édifice virtuel qui s’écroule si on tire la plug?

L’urbanisation est un phénomène assez nouveau dans l’histoire. D’autres formes de délibération et de représentation existent partout dans le monde et dans l’histoire, partout où on est restés ou revenus à l’échelle locale. C’est la distance causée par la concentration des personnes dans les villes qui bouche l’horizon. La ville est aussi artificielle que le numérique.

La phobie du numérique (« je n’aime pas les ordinateurs, ça me fait peur, je crois aux vraies rencontres », etc) se soigne, comme le montrent les transformations démographiques du Web. La phobie des espaces-temps étriqués (assemblées) où les meilleurs orateurs, les esprits les plus rapides, les personnes les plus séduisantes ou les plus plaintives, font triompher leurs opinions ou leur absence d’opinions, s’enracine, quant à elle, dans de saines aspirations.

L’humain a créé l’écriture il y a quelques millénaires; à la démocratie de la découvrir.

La recherche du consensus (30 premières minutes!) :

Pour l’instant, elle n’y voit que des écrits gravés dans le roc, comme nous voyions l’écriture au début.

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My (he)art saves me

Dans le film-culte Scanners de David Cronenberg (1981), nous faisons la connaissance d’un scanne(u)r (ce qu’on appelle erronément un « télépathe ») qui, pour faire taire l’existence en lui des autres, des multitudes, fait de l’art. Intraduisible et à peine transcriptible, l’explication de sa démarche est :

My (he)art saves me

Cela, l’artiste le déclare alors qu’il est au cœur même de la tête qu’il a créée pour s’y abriter, tant physiquement que socialement, à titre d’artiste.

D’autres préfèrent se fondre.

Scanners parlait d’une ère, dans un avenir rapproché où des êtres deviendraient incapables de contrôler l’entrée en eux d’Autrui.

Scanne(u)r prenant le contrôle d'un réseau d'ordinateurs par la pensée. (1981)