Maisonneuve de glace

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Marcher vite pour ne pas que l’hiver me rattrape, les bouts de doigts gelés ne doivent pas se perdre dans le canal bouché par un sac de vidanges éventré. J’ai peur de la suite des choses, mais je continue d’avancer, quitte à tomber en cours de route. C’est inévitable, je suis maintenant, trop engagée dans la marche du quartier pour faire demi-tour.

Aveuglée par le bleu hypocrite du ciel sans nuage, je traverse rapidement la rue Hochelaga. Des mirages d’automobiles en vue, j’ai une pensée pour le boulevard Taschereau. Hochelaga empoussiérée aujourd’hui, tu lui ressembles un peu. Tes envolées de lampadaires ne me convainquent pas.

Je ne veux pas mourir sur toi, Hochelaga.

Un miroir abandonné me projette le reflet d’une adolescence en voie de disparition. Des autocollants à moitié arrachés, des noms de groupes oubliés me rappellent que je t’ai souvent marché, Maisonneuve, comme une limite, comme un exotisme du métro Préfontaine. Tu me donnais l’impression d’être ailleurs dans ces moments où je m’imaginais fuguer sur les autoroutes sans fin des États-Unis, avec rien d’autre qu’un livre, un couteau et quelques dollars.

Je n’ai pas froid, j’ai frette de ta stérilité, de ton béton qui craque sous le poids de tes condos en carton. Je veux gueuler le désert de ton étalement urbain, mais je n’y arrive pas, j’ai les cordes vocales mêlées dans la douce odeur de sécheuse qui réchauffe tes trottoirs. Maisonneuve, chez toi, tout est plus large et je cherche, quelque part dans tes ruelles, une fiction de sécurité directement tirée de mes souvenirs.  

Je ne veux pas mourir sur toi, de Rouen.

J’ai trop sur le coeur ton Québec Linge et une vieille histoire de famille. Des réminiscences des heures de guet passées sur un banc d’en face en espérant croiser le hasard d’une rencontre. Voir ma mère en vrai ailleurs que sur Google Street View. Je me demande quelle circulaire elle regarde, assise de travers devant le 1653 de Chambly. Le Windex est peut-être en spécial chez Jean Coutu.

Heureusement, le marché Maisonneuve s’ouvre devant comme un refuge. La vie reprend ici avec les dizaines de tables presque toutes occupées. Plusieurs personnes seules devant des journaux ou des livres. Près de la fenêtre, une dame relativement âgée ne cesse de noircir des feuilles. Des conversations s’échangent, mais rien n’arrive distinctement à mon oreille. Rien à voir avec la promiscuité du Tim Hortons, rien à voir avec Hochelaga. Les personnages sont ici en veilleuse. J’ai l’impression que tout le monde n’est que de passage, mais peut-être que je n’arrive pas à comprendre le lieu.

Je ne veux pas mourir sur toi, Maisonneuve.

J’aimerais plutôt remonter à mes origines et essayer de comprendre. Aux premiers jours de l’été, Aird m’a accueillie en ouvrant ses grandes portes rouges sur moi. À partir de là, tout m’a échappé : Darling et ses lilas, les nuits de batailles sur Ontario, le son du train et du frottement de fer sur Dézéry, une voisine qui crie rue De Chambly, les engueulades qui réveillent de la rue Adam.

Neige noire sur Notre-Dame, retour au présent. Même l’hiver et ses flocons de silence n’arrivent pas à apaiser le vacarme incessant du progrès en marche. Je, on ne veut pas mourir sur toi Notre-Dame avec ton horizon qui n’existe pas. Le quartier est plus grand que tout cela, son imaginaire me dépasse.

Et je ne veux pas mourir avec toi, Hochelaga.

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