Croiser Hochelaga

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marjolainedeneault_audio2.mp3, by Marjolaine Deneault

1. Parc Préfontaine

Il y a au moins un million cent soixante et onze mille trois cent cinquante-cinq personnes qui te traverse, ô Parc Préfontaine, pour entrer dans tes profondeurs par la bouche chaude de ta station et de ton édicule futuriste d’un autre temps. Si certains t’empruntent pour te quitter, d’autres te roulent dessus, sur les setups homemades de ton skate park en sortant leurs best tricks de compétition pour les après-midi de mongol. D’autres te foulent avec des vieilles mitts de baseball tout en courant après une balle et en pilant dans le lac derrière le marbre qui n’arrive pas à disparaître depuis la dernière pluie. Des chiens te pissent dessus et les enfants tombent sur ton asphalte en s'éraflant les genoux.

2. Bowling Darling

Dans l’antre des boules qui roulent du Bowling Darling, la paix règne, contrebalançant les « ostis de tabarnak » des gars chauds du Davidson et des Patriotes. Ici, on y va de grâce et d’huile de poignet pour accomplir la valse des abats et des réserves et on souhaite entendre son nom au micro pour applaudir sa partie parfaite. On y rencontre les vieux chums de longue date, les kids de la Maison des Jeunes, les pères et leurs enfants à la semaine partagée, les couples d’adolescents qui se frenchent en attendant que le temps passe. Mais on y rencontre surtout son propre reflet dans le cirage des allées quand on se penche trop près du sol pour enligner son coup. Vaut mieux regarder drette devant.  

3. Davidson Lunch

En sortant sur le trottoir, en profiter pour arrêter prendre un break en passant la porte grande ouverte du Davidson Lunch. Croiser le regard de Diane la serveuse et se recentrer un peu dans ses souvenirs. S’en remettre entièrement à cette experte du pain quotidien et de la soupe du jour, du café toujours servi au bon moment et du verre d’eau toujours plein. Être attentif aux modes d’usage du lieu qu’elle nous enseigne sans le vouloir dans la manière qu’elle dirige son pas décidé vers les tables pour nous suggérer le bien vivre, le bien-être et le bien manger. Sourire à cette rassembleuse de parcelles de tous les jours et quitter en réalisant qu’on ne connaît plus les habitudes de cet endroit pourtant si familier.
 

4. Plaza Ontario

La grande échelle d’enseignes au coin Aylwin et Ontario attire le regard en fendant l’horizon. En elle se charge le souvenir de la Plaza Ontario, l’ancien centre commercial de l’artère qui rassemblait les preneurs de café perpétuels et les âmes solitaires en quête d’une bribe de conversation. Illuminant les environs, il s’agit toujours d’un point de repère pour le camelot de l’Itinéraire qui essaie de capter des regards à la sortie du Jean Coutu ou le quêteux du moment qui demande « un p’tit deux piastres pour manger ».  Le Dollarama ne fournit pas, même si une autre succursale existe quelques coins de rue plus à l’Est. Le mercredi, il ferme à 19h pour accommoder la clientèle.

5. Tim Hortons

S’accrocher les pieds au Tim Hortons, coin De Chambly, pour y croiser la vie du quartier. C’est bien connu, jeunes, vieux, pauvres ou riches, tout le monde va et vient chez Tim Hortons. Après la fermeture de quelques-unes des institutions de la rue Ontario, l’arrivée d’une succursale de la célèbre chaîne a fait le bonheur des flâneurs quotidiens souhaitant étirer « un grand café 2 sucres 2 laits ». Mais ici, le quartier est tissé serré avec ses habitués et leurs habitudes. On sent que si on dépasse le temps réglementaire pour engloutir un beigne et un café, les regards se font de plus en plus lourds. On se sent envahi puisqu’ils sont tous là, autour, en attente d’exister.  

6. La Belle Province

Quelques coins de rue plus loin, La Belle Province offre, habituellement, une ambiance similaire. Mais là, la marde est pognée. Pas besoin de dessin pour savoir que l’ambiance n’est pas aux histoires d’amour et aux beaux compliments. La serveuse a hâte de finir son shift, les choses ne roulent pas à sa manière. Les clients s’impatientent; les hangover veulent ingérer la sainte graisse regénératrice, les téteux de café veulent un refill. Ça doit faire deux mille cinq cents fois qu’elle fait l’allée-retour entre sa caisse et les banquettes du restaurant depuis qu’elle a ouvert à sept heures du matin. Elle doit rêver au moment où elle va pouvoir enfin s’asseoir sur son Lazy-Boy, en enlevant doucement ses souliers, la télé ouverte pour masquer le silence ambiant.

7. La Place Valois

Sur la Place Valois, une cicatrice de pavés a remplacé le ballast de la grande track qui fendait le quartier en deux où passait la ligne du Chateauguay & Northern Railway Company. Nouveau centre d’une revitalisation qui explose doucement, place publique en devenir côtoyant le bourgeon commercial de la renaissance du phoenix hochelagais, il s’agit également d’une aventure en zone défavorisée pour Laurendeau, Boutros, Pratte et Samcon, les redéveloppeurs d’expérience urbaine avec des prix inférieurs à la moyenne. Valois-sur-le-Parc ou Boxing Day du logement de la demande vive, son épicentre coeur-de-pierre rêvé par le gratin du quartier passe doucement, lentement, d’un miniputt de garnotte à un réservoir habitable pour un village qui se cherche et essaie de se retrouver quelque part sur Ontario.

8. La Pataterie

À La Pataterie, on se retrouve aussi. On peut prendre ce qu’on veut parce que c’est le premier du mois après tout, mais beaucoup sont seuls devant un café dans un verre en styromousse ou devant une patate sel-ketchup-vinaigre. Si pour les consommateurs, tout doit être « simple et frais » comme le stipule la devise du restaurant, pour les travailleurs, c’est plutôt simple et morne. Dans ce temple où l’application du taylorisme donne naissance à des chef-d’oeuvres de hot-doïlle et de cheese-bacon, la calleuse de commandes parle dans le vide, la laveuse de table repasse pour la vingtième fois par-dessus le travail déjà fait et le flipeux de boulettes parle tout seul, le regard vide.

J’ai croisé Hochelaga dans le Parc Préfontaine, au Bowling Darling, au Davidson Lunch, dans la Plaza Ontario, au Tim Hortons, à la Belle Province, sur la Place Valois et à la Pataterie.

J’ai croisé Hochelaga à l’intérieur des conversations entendues, des mots criés, des voix chuchotées, dans les photos prises sur le vif et les images d’archives.

Mais j’ai surtout croisé Hochelaga dans ma mémoire.

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