Curieuse de trouver des objets littéraires et artistiques insolites de nature interactive, j’arpente souvent le web à la recherche d’oeuvres peu communes. C’est ainsi, au gré de ma déambulation, que j’ai fait la découverte du The Choosatron, un jeu d’arcade de fiction interactive développé par Jerry Belich (développeur du logiciel). Au premier regard, le jeu se présente de la façon suivante: une boîte en bois ou plexis glace (selon le modèle) surmontée d’un petit boitier, de touches numériques et d'un visage souriant composé de pictogrammes nous fait face. Assez intrigant, sous ses airs simplistes, précisons-le, l’objet renferme une installation technologique (une carte SD, une imprimante thermique et un rouleau de papier) pour donner à lire des histoires interactives et ce, sur un format de type ticket de caisse.
Comment ça marche ?
Lors de l’achat et de la réception du The Choosatron, douze histoires sont préenregistrées sur la carte SD; ainsi, lors de la mise en route de la machine, le lecteur peut sélectionner l’histoire qu’il veut lire en appuyant sur les touches 1 à 4. Ces mêmes touches, reliées à un circuit imprimé, permettent au lecteur d’avoir le pouvoir sur l’avancée de l’histoire. Il choisit quels seront les éléments narratifs qui se succéderont. À l’exemple de l’hypertexte au sein d’une œuvre hypermédiatique, cet objet offre la possibilité au «lecteur» de prendre part à la narration de manière interactive.
L’expérience est aussi sensorielle. Lorsque l’on appuie sur le bouton pour choisir une séquence narratoriale on entend l’imprimante qui se met en route. Le lecteur peut toucher et entendre les différents mécanismes qui se mettent en place pour parvenir à la matérialisation d’une histoire. En outre, le format interroge. On a l’habitude de se débarrasser d’un ticket de caisse, rares les fois où on accorde un moment à sa relecture. En ce sens, le format désacralise le livre puisqu'avec The Choosatron, il se fait jetable.
Une convivialité et une sociabilité certaine se dégage d'un objet littéraire qui privilégie les petites histoires. Lors d’une entrevue, Jerry Belich exprimait notamment son souhait que The Choosatron puisse aller dans les lieux publics tels que les bars. The Choosatron est donc conçu pour s'établir dans des lieux eux-mêmes conviviaux. La lecture devient véritablement un vecteur de lien social.
L’expérience se passe aussi sur le web. On peut se rendre sur le site choosatron.com et télécharger encore plus d’histoires. Le côté plutôt séduisant de ce type de jeu est que le lecteur peut devenir à son tour auteur de fiction interactive. Il a le loisir de pouvoir hacker le dispositif et bénéficier des logiciels libres pour écrire l’histoire en complétant la structure narrative qui lui est offerte. Ces différentes fonctionnalités et usages de l'objet ont été rendues possibles grâce à l’intégration de deux facteurs technologiques au sein de ce projet; Arduino est un circuit imprimé majoritairement destiné à la programmation multimédia interactive, il peut donc être employé pour utiliser des objets interactifs indépendants. Il fonctionne avec le logiciel libre Twine qui permet d’écrire ses propres histoires de façon interactive. C’est ce logiciel qui va permettre d’intégrer différents passages et mettre à portée de main plusieurs choix narratifs aux participants et aux participantes.
Cet objet de narration interactive et le processus auctorial qui l’entoure nous donne à réfléchir sur le statut de l’édition d’aujourd’hui. En ne passant plus par un filtre éditorial pour que l’histoire soit donnée à lire au plus grand nombre, une certaine liberté d’écriture est donc offerte et chacun peut s’essayer à l’exercice rédactionnel tout en s’amusant. On est donc dans un système d’auto-édition ludique et amusant. Si le The Choosatron n’est pas un objet offrant de la grande littérature, il permet tout de même de partager de bons moments entre amis et de sensibiliser un certain lectorat aux récits interactifs.