Le jeu de séduction de la publicité interactive en ligne

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On se souviendra de la scène, dans Minority Report, où le personnage de John Anderton, entrant dans un magasin GAP de l'année 2054, se fait interpeller par un grand écran plasma sur lequel une suave hôtesse lui demande s'il a apprécié les trois débardeurs achetés à sa précédente visite. Or, pour ce faire, nul besoin d'attendre l'an 2054. Reconnaissance biométrique de l'iris en moins, l'affichage interactif est déjà bel et bien présent. Les exemples de campagnes abondent: la Xbox 360 qui offrait aux passants de tester la nouvelle console de jeu dans certains abribus parisiens, ou encore le film Aliens vs. Predator qui invitait la foule à pousser le "bouton" correspondant à leur héros préféré, à même la façade d'un panneau publicitaire. [1]

Les voitures, les filles en bikini ou les allusions masquées-mais-pas-vraiment au sexe, ça ne suffit plus. Le consommateur doit être impliqué. L'affichage interactif comble une partie de ce besoin en interpellant directement le passant dans la rue, mais demeure limité par la matérialité qu'il nécessite, par ses infrastructures. L'interactivité propre au Web 2.0 permet de contourner ce problèmes tout en offrant de nouvelles voies de marketing, voies qui n'étaient auparavant que frôlées, fantasmées. Le Web réalise le rêve de tout publiciste: prendre le consommateur par la main, le mener vers son produit, le laisser le toucher avec sa souris, caresser, faire joujou. En bref, lui donner le contrôle total, sans qu'il ait à se déplacer ou qu'une quelconque instance le surveille. Il est appelé. Il choisit. Il interagit.

L’été passé, Perrier lançait une nouvelle campagne de pub révolutionnant toute entière autour du Manoir Perrier, site Web où l'internaute était convié à pourchasser langoureusement Dita Von Teese, l'effeuilleuse américaine numéro 1. L'interactivité, ici, consistait en de jeux coquins entre l'internaute et la voluptueuse demoiselle durant lesquels l'eau pétillante devenait étrangement sexy. 

Le coeur de la campagne était donc fondamentalement virtuel; les composantes du monde tangible (canettes, bouteilles de plastique, panneaux routiers, publicités télévisées) ne servaient qu'à référer le consommateur vers ce manoir en ligne.

C'est l'URL qui donnait à la nouvelle facture visuelle du produit tout son sens. Sans lui, le consommateur ne comprenait pas trop pourquoi (bien qu'il était, on le devine, tout de même agréablement surpris) une jeune femme en lingerie accaparait sa désaltérante canette. 

Le site avait d'ailleurs reçu le fameux ruban jaune du site du jour (FWA Site of the Day), prix qui est, selon ses organisateurs, à l'excellence Internet ce que l'Oscar est à l'excellence de l'industrie du film, et qui est attribué par le Favourite Website Awards. Or, deux fois plutôt qu'une, ces sites honorés s'avèrent être des campagnes de pub lancées par des compagnies des plus diversifiées: Nike, le dernier blockbuster hollywoodien, Perrier, Doritos, une série télé à Canal+ et même les Pages Jaunes. Sans pour autant se définir comme du net.art (et ses multiples dénominations), ces sites n'en sont pas moins dénués d'audace et d'innovation.

Avec l'explosion des Ipad, Iphones et autres téléphones intelligents, tout le monde est tout le temps en ligne. Alors plutôt que d'avoir recours aux codes QR, peu populaires en Amérique du Nord ou en Europe (qui veut vraiment "scanner" un code noir et blanc? C'est un peu archaïque, comme principe), les compagnies se plongent dans les possibilités expansives du Web: intégrer à l'écran des panneaux publicitaires un boîtier Bluetooth, passer à l'affichage numérique plutôt que papier et, bien sûr, explorer les possibilités de contamination virale qu'offrent les réseaux sociaux. 

Naturellement, les associations antipub se sont insurgées contre des méthodes aussi intrusives, mais, avouons-le, le combat est vain. Nous serons impliqué. Nous interagirons. Et nous serons comblés. Venez, gentilles brebis, cliquez sur le lien, vous pourrez créer votre propre avatar de footballeur, jouer le temps d'une scène aux côtés de Benicio Del Toro ou, mieux que tout, verser du Perrier dans le décolleté de Dita. Je vous le demande: qui résisterait à la tentation?

[1] Clermont, Nathalie. L'affichage publicitaire interactif: un meilleur moyen d'attirer le consommateur? En ligne: http://www.memoireonline.com/10/07/665/l-affichage-publicitaire-interactif.html (consulté le 13 août 2010)