L'intelligence artificielle au service de l'art?

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Devant un verre, je dis à un de mes amis que je travaille sur l’art hypermédiatique. «Qu’est-ce que c’est que ça, des œuvres sur le Web, qu’il me dit, des images photoshoppées?» Alors en bon ami que je suis, je lui présente le répertoire des œuvres hypermédiatiques du NT2. Cependant, il se sent un peu perdu devant la grande quantité d’œuvres disponibles. Il ne sait pas par où commencer, et plus important encore, il ne sait pas quel type d’œuvre il aime, quelle genre d’expérience hypermédiatique il préfère. Étant son ami, je peux cibler les œuvres qu’il risque d’apprécier et guider ses choix en utilisant les différents mots-clés et caractéristiques taxonomiques mise en place par l'équipe du Laboratoire.
 
À ce moment, j’ai un flashback m’amenant dans les années 90, lorsque je commençais à utiliser le World Wide Web pour la première fois. Je me revois chercher le Web sur les moteurs d’Altavista, Yahoo ou la Toile du Québec à l’aide du défunt fureteur Netscape.  Surfer sur le Web était fastidieux, mais passionnant : on ne savait jamais sur quoi on pouvait tomber. On cherchait un mot ou on naviguait par sujet dans le répertoire des sites indexés dans les moteurs de recherches. Une expérience similaire à celle que mon ami éprouve en naviguant sur le site du répertoire, devant l’inconnu qu’est pour lui l’art hypermédiatique.
 
La recherche en ligne a bien changé depuis ce temps. "Google happened", comme on dit, et le phénomène amène avec lui deux révolutions. La première est celle de son moteur de recherche lancé en 1998, où les sites les plus visités apparaissent en premier dans les résultats. La deuxième arrive subtilement en décembre 2009 : Google ajoute des agents intelligents à son moteur de recherche. C'est 57 signaux distincts qui acquièrent de l'information servant à filtrer le contenu du Web. Ces éléments d'information vont de l’historique de navigation, à l’adresse IP de l’ordinateur et sa localisation. Les résultats que nous obtenons sur Google sont ainsi filtrés selon nos préférences et nos intérêts.
 
Plus besoin de chercher à travers les multiples pages de résultats, Google veut anticiper nos besoins et comprendre ce que nous désirons réellement trouver par l'utilisation d'algorithmes intelligents. Un exemple frappant : deux personnes sur leur ordinateur personnel, faisant la même recherche sur Google, n’obtiendront pas les mêmes résultats, ni le même nombre de résultats. Allez-y, faites le test! Et plus nous utilisons cet outil, plus ces agents intelligents raffinent leur efficacité – même lorsque nous sommes hors ligne – pour se plier davantage à notre personnalité et nos goûts, avec bien entendu l’objectif de cibler les publicités le plus parfaitement possible.
 

Eli Pariser, auteur du livre The Filter Bubble – What the Internet is Hiding from You (The Penguin Press, 2011), condamne cette personnalisation forcée et invisible. Selon lui, l’Internet s’adapte à la vision et aux goûts de l’internaute, faisant en sorte que ce dernier verra sa vision se refermer tranquillement sur elle-même en ne lui faisant voir que ce qu’il veut voir, sans le confronter à de nouvelles idées. L'intelligence artificielle l'isole dans une bulle d'information individuelle.

Mon objectif n'est pas ici de me questionner sur les avantages et désavantages de l'utilisation d'intelligence artificielle dans la recherche en ligne, mais plutôt de réfléchir sur son utilisation dans le monde de l'art hypermédiatique. Non pas comme concept artistique, mais comme moteur de découverte. Tout comme les conseils que je donne à mon ami pour l’aider dans sa découverte d’œuvres hypermédiatiques, des agents intelligents pourraient diriger les résultats de recherche en fonction des goûts de l’internaute.

Il existe déjà un modèle de ce genre pour l’univers de la musique, celui de la radio américaine Pandora (pour l'instant uniquement disponible aux États-Unis, droits d'auteur obligent) basée sur le Music Genome Project qui recense plus de 400 qualités et caractéristiques sonores pour guider les choix musicaux de ses auditeurs. Ou bien encore les agents intelligents du site de vente Amazon, qui nous présentent toujours des suggestions basées sur nos recherches et achats précédents. 

L’utilisation des agents intelligents dans le contexte des formes d'art sur le Web est une avenue intéressante. Prendre les visiteurs par la main et leur faire voir des œuvres suivant leurs goûts personnels, ne serait-il pas une nouvelle avenue pour la création d’un musée en ligne d’art hypermédiatique? Où des agents intelligents nous proposent des visites guidées personnalisées. Ou bien, si l’on suit la pensée de Pariser, leur utilisation serait-il une manière d'isoler l'internaute dans une bulle de confort artistique?

Conférence de Eli Pariser à TED : 

Pariser, Eli. Beware Online Filter Bubbles, TED Talks. En ligne: http://www.ted.com/talks/eli_pariser_beware_online_filter_bubbles.html (page consultée le 23 avril 2012).