Être féministes en 2012, ce n'est plus - seulement - descendre dans la rue pour manifester. C'est investir de nouveaux espaces de revendication et de création en créant des sites Web, en bloguant, en envahissant les réseaux sociaux.
Les féministes de 2012 sont bel et bien «de leur temps». Même si l'image de la femme frustrée poilue brûlant son soutien-gorge aux barricades perdure dans l'imaginaire de certains, la figure de la féministe 2.0 s'impose résolument.
Embrassant cette tendance, la photographe Caroline Hayeur a conçu le projet 24 poses féministes pour l'Office national du film. Créé pour la prolifique section «Interactif» [1] du site Web de l'ONF, 24 poses féministes se définit comme un essai photographique.
Pour ce projet, bien qu'elle pratique le métier de photojournaliste depuis plus d'une quinzaine d'années, Caroline Hayeur délaisse l'objectif et le confie à des non-photographes. Pour 24 poses féministes, elle réunit six artistes - six femmes - autour de 24 mots se rattachant au féminisme de près ou de loin, et leur donne champ libre pour effectuer 24 photographies évoquant ces mots. [2]
Leur objectif? Tenter de répondre - en une fin de semaine! - à la question: «Comment se perçoivent les jeunes féministes en 2012?»
Or, Hayeur n'a pas choisi des mots faciles. Certains sont galvaudés («mère», «salope», «hystérique», «secrétaire»), d'autres irrévérencieux («grosse», «menstruée», «poilue», «sexuelle»), mais beaucoup sont également rafraichissants et porteurs d'espoir («forte», «solidaire», «queer»).
Le résultat final est éclaté, parfois poétique, parfois humoristique, mais toujours sensible et traité sobrement. L'ensemble est lumineux et immersif.
La forme de l'oeuvre est simple: un mot, une artiste, une photographie. Néanmoins, si cette image constitue le noyau de la réflexion effectuée par l'artiste, elle se trouve complétée par deux citations: l'une orale et l'autre écrite. Ainsi, l'introspection dans laquelle ces artistes féministes engagent l'internaute se ramifie par la voix et le langage, dépassant la simple image. L'internaute plonge dans leur intimité, écoute leur rire, leurs confidences, la complicité qu'elles partagent.
D'un côté plus technique, 24 poses féministes n'est pas une oeuvre très interactive. L'internaute explore les photographies, cliquant de l'une à l'autre linéairement. Il peut également naviguer dans l'oeuvre de façon plus fracturée s'il retourne à la page d'accueil entre chaque photographie. La grande interactivité de l'oeuvre consiste dans son partage sur les réseaux sociaux. Chaque mot peut être partagé individuellement sur Facebook ou Twitter, donnant ainsi la chance à chaque interprétation de rayonner indépendamment du «groupe». L'implication de l'internaute est donc celle d'un témoin, appellé à s'imprégner des visions personnelles de chaque femme pour ensuite les faire exister ailleurs.
Notons qu'une série de 12 photographies reprenant les mêmes thématiques que celles sélectionnées sur la page d'acceuil est aussi accessible. Il s'agit simplement des autres clichés pris par les artistes n'ayant pas été placés en page principale.
L'oeuvre interactive est mise en ligne juste à temps pour le 8 mars, Journée internationale des femmes, et est lancée en collaboration avec le journal Le Devoir, qui offre pour l'occasion un dossier spécial «Féminisme». Finalement, soulignons que l'auteure Marianne Prairie et l'artiste sonore Chantal Dumas signent également cet éditorial féministe aux côtés de Caroline Hayeur.
[1] Cette section est présentée ainsi: «Une collection vivante d’oeuvres interactives d’auteurs dans l’esprit du documentaire, de l'animation, de la photographie et de l'art sonore. De nouveaux projets y sont régulièrement ajoutés.» (http://www.onf.ca/interactif/)
[2] Ces artistes sont Virginie Brunelle, Queen Ka, Donzelle, Myriam Jacob-Allard, Véronique Pascal et Coco Riot.