
Pour David Le Breton, anthropologue français, la ville est le lieu d’expression de la rationalité de l’homme moderne. Sa configuration relève de soucis fonctionnalistes et individualistes qui, de prime abord, semblent évacuer la dimension humaine qui pourtant la compose.
Les œuvres hypermédiatiques présentées dans cette exposition évoquent plutôt la ville comme le lieu de la mémoire. Chaque espace, rue ou commerce est marqué d’une histoire, qu’elle soit institutionnelle ou subjective. Les lieux que nous découvrons ou revisitons dans les trois œuvres ci-dessous portent les traces d'un passé que les artistes actualisent au moyen de photographies, de vidéos et de témoignages. Le filtre de l'histoire - sous forme d'archive officielle ou de récit personnel - confère une aura nostalgique à l'ensemble des œuvres qui oscillent entre le documentaire et l'intime. Elles soulignent la dimension affective de l’espace, catalyseur de réminiscences de toutes sortes. La ville, sous l’œil des artistes, est un espace sédimenté à l'instar de l’œuvre The Red Light District de Heather O’Neill (l'une des six créations d'Hyperlocal).
La dérive de l'affect
Soumis par Mathieu Mundviller le
La dérive de l'affect de Myriam Lambert explore l'identité montréalaise en rassemblant sur une carte interactive des archives photographiques et des extraits de documentaires en ligne inspirés des témoignages des résidents et des résidentes. Certaines citations d'auteur.e.s marquent également le territoire et proposent des réflexions sur la nature de l'archive, de la mémoire et de l'image.
Ce qui ressort de ce recensement fragmentaire est un portrait du lien affectif et mémoriel qui unit les citoyens et les citoyennes à la ville. Ce lien, l'artiste le désigne de psychogéographie. L'œuvre rend visible une identité collective et individuelle qui prend ancrage dans certains lieux et au cœur d'événements tournants.
L'archive s'érige dans l'œuvre comme document vivant dont le statut oscille entre le réel et la fiction, notamment car les documents collectés ne prétendent à aucune exemplarité ou exhaustivité. La recherche des archives est guidée par des témoignages que l'artiste a amassé au gré de ses déambulations et qu'elle a triés selon des considérations esthétiques qui lui sont propres. L'archive évoque ici le souvenir et s'écarte du document comme indice de vérité. Ce statut instable de l'archive, on le retrouve également sur le Web. Le choix d'explorer la mémoire montréalaise par le biais d'une œuvre hypermédiatique est donc tout indiqué; le Web est aussi une archive aléatoire du contemporain qui se nourrit des contributions innombrables des internautes. La dérive de l'affect devient donc une archive partielle au sein d'une archive monstre qui, sur le même principe que la mémoire, se meut au fil du temps et au fil des requêtes ciblées et subjectives des gens qui la parcourent.
Hyperlocal
Soumis par Anonyme le
Hyperlocal propose six histoires interactives qui abordent notre rapport aux lieux géographiques et culturels de l'enfance et les changements qui marquent ces espaces. L’œuvre collective transporte l’internaute de Terre-Neuve à Calgary, en passant par Montréal.
Le quartier de Saint-Henri est exploré par l’artiste Melissa Bull dans l’œuvre «In the Shadow of the Canada Malting Silos». Elle y décrit ses après-midi de recueillement et de solitude étant adolescente, dernier adieu à un lieu voué à la destruction. Dans «The Red Light District», l’artiste et narratrice Heather O’Neill enchâsse ses réminiscences de la rue St-Laurent à celle de son père pendant que défilent des photographies superposées de la rue en 1940 et en 2013. La ville devient un lieu qui se meut tout comme l'altération de la mémoire. La somme des récits interactifs témoigne quant à elle de la perte ou de la lente disparition. Si la transformation de la ville - de la gentrification à la destruction de certains bâtiments - apporte une ère de renouveau, elle tend également à détruire des symboles et des espaces autrefois habités par la mémoire des résidents et des passants.
Wild City Mapping
Soumis par Lisa Tronca le
Wild City Mapping/Cartographie ré-imaginée est une plateforme d'archivage et de cartographie des terrains vagues de la région métropolitaine de Montréal. Les créatrices et créateurs invitent la communauté à participer à ce grand projet de sensibilisation et de mémorisation des interstices urbains, absents des cartographies officielles, mais omniprésents dans l'expérience quotidienne du territoire. Les citoyennes et citoyens peuvent envoyer des photographies et des textes à propos des lieux «invisibles» pour qu'ils soient archivés sur une carte disponible sur le site Web du projet. Ces traces deviennent alors des points interactifs accessibles aux autres internautes; parfois traces de lieux à découvrir, parfois réminiscences d'endroits disparus.
Wild City Mapping touche aux enjeux de l'archivage et de la mémoire. Les technologies numériques assistent ici l'objectif de pérennisation de lieux en périls ou même disparus. Le projet soulève également l'importance d'intégrer une dimension affective et humaine dans la cartographie urbaine. Alors que les terrains vagues subissent la menace constante de se faire transformer en espace commercial ou d'habitation, l'action citoyenne devient un élément clé dans leur préservation, que la conservation soit réelle ou mémorielle.