Soumis par NT2 le
GOOGLEHOUSE est une oeuvre conçue par Marika Dermineur et Stéphane Degoutin, générant des pièces de maison à partir du moteur de recherche d'images offert par Google. Dès l'entrée dans l'oeuvre, une pièce est en train de se construire, à partir d'un thème de recherche entré par un internaute précédent (par exemple, une pièce se construit à partir d'images trouvées avec une recherche des mots "lmao+room"). Il est possible pour l'internaute de lancer sa propre recherche ou, en cliquant sur l'onglet "other rooms", de faire afficher des images à partir des suggestions des artistes (comme "living", "bed", "dining", etc.) ou avec les 10 dernières requêtes des internautes.
La constitution de la pièce se fait par l'enfilade d'images extraites de la recherche dans Google, qui sont disposées à angle droit d'après une perspective isométrique simulant un environnement rudimentaire en trois dimensions. Or, la pièce ne se constitue pas selon un modèle préétabli et rigide: au contraire, il semble que l'algorithme présidant au développement continu des pièces fait la part belle à une construction aléatoire. Les pièces de cette maison que Google construit ne se referment pas: elles montent sur plusieurs étages, s'étalent dans une direction pendant un moment avant de se replier sur elles-mêmes, et affectent d'autres comportements imprévisibles. Aussi à noter, la recherche d'images sur Google, dépendant largement des mots-clés utilisés dans les descriptions des internautes les ayant téléversés sur le Web, occasionne souvent l'apparition d'images dont le lien direct avec la requête de la recherche est ténu. De la sorte, une pièce constituée à partir de la recherche "play room" contiendra un portrait du justicier Zorro (voir capture d'écran 2).
Au niveau de l'interactivité, une autre fonctionnalité doit être mentionnée. Il est possible d'effectuer un zoom avant et un zoom arrière de cette maison se déployant à un rythme soutenu. Il s'avère cependant que les deux options sont intrinsèquement viciées: Le zoom arrière ne permet pas d'embrasser d'un seul regard la totalité de la maison, du moins dans la mesure où les différentes pièces se seraient déployées dans plusieurs directions (résultat d'expansion que l'oeuvre ne prend qu'une quinzaine de secondes à atteindre), tandis que le zoom avant permet d'agrandir le point de vue sur les images formant les pièces de la maison google, mais en raison de l'uniformité des images, la plupart de celles-ci sont exagérément pixelisées. Il est donc à la fois impossible de considérer l'ensemble des pièces de la maison Google ou d'apprécier dans le détail un pan des pièces de cette maison. Ceci peut être compris comme un commentaire implicite à l'égard de la recherche sur Google: d'une part, le moteur de recherche est si puissant qu'il produit une quantité de résultats trop imposante pour être entièrement consultée (impossibilité de voir l'ensemble de la maison Google) et, d'autre part, la recherche fait aussi surgir des images incohérentes ou sans lien explicite avec le sujet de la recherche, en plus de se faire côtoyer des images dans un format de grande qualité et des "images pauvres" propres au numérique1
En somme, GOOGLEHOUSE met en évidence la puissance du moteur de recherche de Google par la construction désordonnée de "pièces" d'une maison virtuelle que personne ne pourrait, ou voudrait, visiter entièrement. La capacité d'un moteur de recherche opérant sur une base de données aussi vaste que le Web à générer de l'information est sidérante, et est souvent assimilée au concept de flux2: l'oeuvre de Dermineur et Degoutin en offre une démonstration éloquente. Si, dans le cas de cette oeuvre, le flux n'est pas ininterrompu (la création de pièces cesse d'elle-même après quelques minutes), il n'en demeure pas moins que la masse d'information extraite du Web, et représentée par une modélisation isométrique, est considérable, à un tel point que nul ne songerait à arpenter patiemment les pièces de la maison Google que l'oeuvre a constituée en quelques instants. De toute manière, il est plus simple de lancer une nouvelle recherche, et d'observer une nouvelle demeure éphémère se construire. La maison Google existe dans sa virtualité comme une démonstration effective d'un tour de force en matière de collecte d'informations; son actualisation quasi-impossible, de par la difficulté à saisir l'information qu'elle produit, induit donc un certain scepticisme vis-à-vis Google.
- 1. La notion d'image pauvre est tirée d'un article de Hiro Steyerl, qui commente cette propriété singulière qu'a l'image en format numérique de se dégrader progressivement à mesure qu'elle circule (Steyerl, 2010).
- 2. À ce sujet, se référer au dossier thématique préparé par Anaïs Guilet et Bertrand Gervais, Le flux.