Soumis par Sarah Grenier le
Dans un futur proche où tous les emplois seraient comblés par des robots, It is as if you were doing work propose une interface permettant à l’internaute de briser son sentiment d’inutilité et d’apathie en jouant à travailler. Paru en 2017, ce jeu conçu par Pippin Barr sera suivi de It is as if you were making love (2018) qui semble se dérouler dans le même avenir dystopique où l’être humain voit ses composantes identitaires ébranlées.
Si l'œuvre s'intitule It is as if you were doing work, la distinction est bien à faire ici entre «travailler» et «faire du travail», le verbe travailler à l'infinitif présupposant un engagement et un travail intellectuel plus poussé que ne l'implique l'expression faire du travail qui se résumerait alors à un travail superficiel et mécanique. It is as if you were doing work propose à l’internaute de cliquer sur des boîtes de dialogues, de taper sur un clavier afin d’accumuler des «unités de travail» (Working Units to Promotion) qui lui permettront d’être promu à de nouveaux postes (Data Administrator, System Administrator, Screen Technician, Dialog Technician, etc.).
L’internaute est d’abord invité à entrer dans une boîte de dialogue un nom d’utilisateur et un mot de passe afin de s’authentifier (Login). Une boîte de dialogue intitulée «Start Work!» affiche alors la question «Ready to start work?» et l’internaute peut choisir entre les options «Let’s go!» qui rendra disponible l’espace de travail immédiatement, ou «Not yet…» qui affichera une barre de progression qui une fois complétée affichera aussi l’espace de travail. Le nom d’utilisateur de l’internaute apparaîtra en haut à droite de la nouvelle interface proposée: un bureau de travail inspiré du système d’exploitation de Windows 95. À gauche se trouve le titre professionnel de l’internaute. Ce dernier changera au fur et à mesure que l’internaute sera promu. Au centre de la barre supérieure de l’interface se trouve le nombre d'unités de travail que l’internaute doit accomplir afin d’accéder à un nouveau titre professionnel. Le bureau affiche 4 icônes: Display, Music, Game et About.
Dès que l’internaute a accès au bureau de travail, des boîtes de dialogues diverses et des fenêtres intempestives apparaissent, proposant du travail à faire. Les fenêtres exigeant la rédaction de textes et de courriel invitent l’internaute à taper sur son clavier. Peu importe ce qu’il tape, le champ texte de la fenêtre se remplira d’un texte généré aléatoirement, chaque touche du clavier faisant apparaître le texte indépendamment des touches frappées. D’autres fenêtres s’ouvriront pendant le travail de l’internaute, interrompant momentanément son travail et exigeant une gestion multitâche. Les autres fenêtres peuvent demander de sélectionner une réponse précise et/ou de cliquer sur des boutons précis. Des boîtes de dialogue aux titres inspirants («Make the days count», «Follow your passion», etc.) affichent des photos iStock de gens travaillant dans un bureau, souvent en équipe, ce qui vient contredire la solitude de l’internaute devant son écran.
À des temps déterminés, les fenêtres en cours disparaissent pour laisser place à une boîte de dialogue «Time for a break!»« qui montre une barre de progression de la durée de la pause allouée. L’internaute peut alors cliquer sur l’icône Game pour jouer à Pong dans une autre fenêtre; Music, pour changer la musique qui joue pendant qu’il travaille (none, world, jazz, classical, hiphop); ou Display pour changer le fond d’écran (grass, lake, cat, work).
L’internaute peut à tout moment déplacer les boîtes de dialogue selon son gré et fermer les fenêtres de travail complété. Le programme ne le laissera pas fermer des boîtes de dialogues où le travail n’est pas complété. Lorsqu’il complète des tâches, l’internaute complète du même coup des Work Units to Promotion qui lui permettent d’être promu. Les unités de travail requises pour être promu augmente à chaque niveau.
L'esthétique rétro 90 choisie comme interface de l'œuvre pour parler d'un futur dystopique -que l'on note aussi dans l'œuvre It is as if you were making love (2018)- fait écho à la récupération rétro présente dans la majorité des œuvres de l'artiste Pippin Barr. Ici pourtant, la juxtaposition d'une dystopie futuriste et d'une technologie passée rend compte de la désuétude des rapports sociaux proposés par l'œuvre en plus de participer tout en critiquant la nostalgie qui caractérise les productions culturelles actuelles.