Compte rendu de l’émission «Les chemins de la philosophie» sur Le Mythe de la virilité. Un piège pour les deux sexes, avec Olivia Gazalé
Aujourd’hui, l’émission de radio « Les chemins de la philosophie » de France Culture a invité la philosophe Olivia Gazalé pour parler de son livre Le Mythe de la virilité. Un piège pour les deux sexes, sorti hier en librairie. Compte rendu. [Mise à jour]
[Mise à jour 01/11/17] Je vous recommande également d'écouter Olivia Gazalé, toujours sur France Culture, interviewée par Hervé Gardette le 28 octobre dernier. Il y a notamment une archive audio de l'émission Apostrophe de Bernard Pivot, datant de 1975, et où Romain Gary (qui vient alors de publier Au-delà de cette limite votre ticket n'est plus valable) parle du mythe de la virilité. Le podcast est disponible ici.
Pour Olivia Gazalé, les hommes seraient les agents de leur propre domination. Ils subissent encore aujourd’hui les injonctions paradoxales et coercitives de la virilité, modèle qui remonte à l’Antiquité. Mais le propos de l’autrice n’est pas de dire, comme le font les masculinistes, que les hommes seraient les victimes des femmes (et du féminisme) mais plutôt d’eux-mêmes : ils seraient ainsi des oppresseurs opprimés.
La virilité, cette injonction aliénante
Olivia Gazalé définit la virilité comme étant un modèle normatif hégémonique se positionnant comme unique et qui doit être différencié de la masculinité (ou plutôt des masculinités). Ce modèle est socialement construit et a évolué au fil des siècles. Néanmoins, il valorise encore la force, le courage, le sens de l’honneur, le goût de la conquête, de la gloire, le sens du sacrifice, l’invincibilité, le patriotisme parfois, l’idéal de belle mort (héroïque, au combat, obligeant l’homme à constamment faire la preuve de sa force, de son courage et de son infaillibilité) mais aussi la rétention émotionnelle.
Cette virilité pousse à un dressage des corps masculins qui est une éducation à l’obéissance et à la discipline. Faire un « vrai » homme (viril donc) est plus compliqué que de faire une femme puisqu’être une femme est perçue comme une « donnée » (selon Margaret Mead) tandis qu’un homme doit conquérir son identité d’homme (d'où l'importance des rites de passage pour s’arracher du monde matriciel féminin). La virilité s’est construite sur l’idée que le vir, l’homme, est « le meilleur du matériau humain », ce qui a conduit non seulement à la minoration des femmes, mais aussi à la minoration des hommes qui ne parviennent pas à correspondre à cet idéal de virilité (et ils sont nombreux tant les critères définissant la virilité sont multiples). La virilité est donc un système qui hiérarchise les hommes entre eux.
L’impuissance
Je l'ai tenue dans mes bras, et je suis resté impuissant ; honte à moi ! qui ne fus qu'une masse inerte sur son lit paresseux. Pleins des désirs qui l'enflammaient elle-même, je n'ai pu réveiller chez moi l'organe du plaisir, hélas ! épuisé. Elle eut beau passer autour de mon cou ses bras d'ivoire, plus blancs que la neige de Sithonie ; elle eut beau, de sa langue voluptueuse, prodiguer des baisers à la mienne, glisser sous ma cuisse sa cuisse lascive, me donner les noms les plus tendres, m'appeler son vainqueur, me dire tout ce qui peut exciter la passion ; mes membres engourdis, comme s'ils eussent été frottés de la froide ciguë, ne me rendirent aucun office. Je suis demeuré comme un tronc sans vigueur, comme une statue, comme une masse inutile, et je pouvais douter si j'étais un corps ou bien une ombre.
Quelle sera donc ma vieillesse, si j'y parviens jamais, quand ma jeunesse me fait ainsi défaut ? Hélas ! je rougis de mon âge ! Je suis jeune, je suis homme, et ma maîtresse n'a trouvé en moi ni la jeunesse ni la virilité ! (…) Quelque sorcière a-t-elle écrit contre moi, sur la cire de Phénicie, de redoutables noms ; ou bien m'a-t-elle enfoncé dans le foie ses aiguilles acérées ? Les trésors de Cérès, frappés par un enchantement, ne sont bientôt plus qu'une herbe stérile : soumises à un enchantement, les eaux d'une fontaine se tarissent ; alors, on voit aussi le gland se détacher du chêne, la grappe tomber de la vigne, et les fruits s'échapper de l'arbre, sans qu'il soit agité ; qui empêche que la magie ne puisse aussi engourdir le corps ? Peut-être a-t-elle ôté au mien sa sensibilité ? A cela joignez la honte ; oui, la honte me devint aussi fatale, et elle fut la seconde cause de mon impuissance.
Ovide, Amours, Livre 3, Elégie VII, dans Œuvres Complètes, Trad. M. Nisard, Firmin Didot Frères et Fils, 1869.
Ce texte d’Ovide, lu pendant l’émission, montre bien la prégnance du sentiment de honte qu’accompagne « la panne sexuelle ». Olivia Gazalé note que cette terreur de l’impuissance est obsessionnelle depuis l’Antiquité. L’homme viril doit maîtriser son corps, en opposition aux femmes qui subissent le leur et ses désordres (menstruation, grossesse, ménopause). Ne pas avoir d’érection c’est ne pas contrôler son corps. Chez les chrétiens, l’impuissance va devenir le signe d’une malédiction divine, le signe de la déchéance consécutive au péché : l’impuissance serait le signe de l’abandon de Dieu. Les tribunaux de l’impuissance, tenus par l’Église au XVIe et XVIIe siècle, font de l’injonction à la virilité une ordonnance divine : on peut être excommunié pour impuissance.
La philosophe pense que les hommes, en faisant de leur sexe, mais surtout de son érection, le symbole de leur pouvoir et de leur supériorité, ont fragilisé considérablement la virilité (en la plaçant sur un organe qui n’est pas infaillible !). La virilité ne résiste pas à la défaillance érectile : elle est humiliante. Cette peur se double de la crainte de la rumeur et de la réputation aux yeux des autres.
La virilité, le nouveau combat féministe?
Pour Olivia Gazalé, s’il est indéniable que les femmes ont beaucoup souffert de ce mythe de la virilité qui les a infériorisées et essentialisées, elles en souffriraient beaucoup moins aujourd’hui que les hommes. Les combats féministes ont permis un important travail de déconstruction des stéréotypes essentialisants autour du féminin. Les femmes seraient plus libérées que les hommes pour qui tout reste à faire. La philosophe parle de norme « viriliste » pour désigner cette idéologie qui ampute les hommes d’une grande partie de ce que pourrait être leur vie psychique, sociale et familiale : le masculin est, selon elle, plus riche que ce que propose la virilité.
Pour faire évoluer les rapports hommes-femmes, Olivia Gazalé encourage à sortir de la guerre des sexes qu’elle pense stérile : il faut être féministe et masculiste. Une position masculiste considère qu’il y a bel et bien une cause masculine à défendre mais que, contrairement à ce que défendent les masculinistes, il ne s’agit pas de combattre les femmes mais les stéréotypes sexués (alors que le masculinisme défend la puissance phallique et donc un retour à la hiérarchie des genres). Il convient d’inviter les hommes à faire le même travail que les féministes ont fait depuis des siècles : remettre en cause les archétypes mutilants et aliénants dont ils sont encore prisonniers, et en première ligne, l’injonction à la puissance phallique.
Émission « Les chemins de la philosophie » par Adèle Van Reeth, France Culture, Le Mythe de la virilité. Un piège pour les deux sexes, avec Olivia Gazalé, 13 octobre 2017.
Il semble qu’Olivia Gazalé partage elle aussi le constat de la récurrence de la crise de la virilité et sa constance à travers les siècles. La prochaine étape serait maintenant de lire son livre pour voir si son travail dépasse celui fait par les historiens Corbin, Courtine et Vigarello. La sortie en librairie au Canada est prévue pour le 20 novembre prochain.
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