Présentation de la communication
«Après un peu plus d’une quarantaine années d’évolution technologique, le jeu vidéo semble, au premier regard, ne pas avoir subi d’importants changements au niveau de la représentation des personnages et des thématiques employées dans le récit, du space marine de Doom (id Software, 1993), trucidant démons intergalactiques dans un carnage pixellisé, à Geralt of Rivia dans The Witcher III Wild Hunt (CD Projekt RED, 2015), détruisant créatures des ténèbres avec force et magie et s’adonnant aux plaisirs de la chair avec de séduisantes sorcières. La dominance de la “masculinité militarisée” dans l’industrie (Kline et al.) a récemment été la source de nombreux débats, notamment avec les événements du #GamerGate où de nombreux commentateurs déploraient (et déplorent toujours) le conservatisme des designers. Pourtant, si les personnages masculins indestructibles aux muscles saillants demeurent généralement la norme dans les productions vidéoludiques d’envergure (dites “AAA”), le jeu d’aventure graphique semble à l’opposé de ce modèle dominant. En effet, bien qu’il ait été un genre particulièrement populaire dans les années 80 et 90, il semble être à part quant à la représentation des la masculinité militarisée: les personnages masculins sont, d’un côté, maladroits, ridicules et faibles, alors que de l’autre côté, les personnages féminins sont bien souvent à des années lumières de la fameuse demoiselle en détresse.
La communication suivante sera une analyse historique du jeu d’aventure en tant que modèle de conservatisme progressiste, c’estàdire une oeuvre vidéoludique où les caractéristiques de la masculinité militarisée sont interverties ou renversées, malgré les pressions de l’industrie AAA au fil des années, au profit d’une représentation des personnages plus inclusive, variée et ancrée dans le réalisme. Afin de démontrer en quoi ce conservatisme progressiste vient, par le fait même, graduellement affadir la masculinité militarisée (même si la faiblesse est intrinsèque à la puissance (Eco)) tel un microcosme parasitaire qui fait muter les productions d’envergure, notre perspective historique sera mixte, à la fois diachronique et synchronique. D’une part, après avoir défini le jeu d’aventure à partir de définitions d’auteurs notables (Lessard, 2014; Fernández-Vara, 2009; Wolf, 2002), nous comparerons les protagonistes et les récits de The Secret of Monkey Island (Lucas Arts, 1990) et Tales from the Borderlands (Telltale Games, 20142015), deux jeux d’aventure adulés par les critiques contemporaines. D’autre part, chacune de ces oeuvres sera par la suite comparée avec deux jeux d’une série emblématique de la masculinité militarisée, soit Wolfenstein 3D (id Software, 1992) et Wolfenstein The New Order (Machine Games, 2014), tous deux sortis approximativement au même moment que The Secret of Monkey Island et Tales from the Borderlands, respectivement, afin de démontrer en quoi l’industrie du AAA se transforme progressivement avec des oeuvres vidéoludiques qui ne mettent plus de côté les invisibles et les histoires ordinaires d’autrefois.