Colloque
Université du Québec à Montréal

La chair aperçue. Imaginaire du corps par fragments (1800-1918)

Jeudi 23 Avril 2015 - Vendredi 24 Avril 2015

 

Présentation du colloque

Les 23 et 24 avril 2015 s'est déroulé, à l'Université du Québec à Montréal, le colloque «La chair aperçue. Imaginaire du corps par fragments (1800-1918)».

L'événement a été organisé par Véronique Cnockaert, professeure au Département d'études littéraires de l'Université du Québec à Montréal et directrice du centre Figura, et Marie-Ange Fougère, maître de conférence en littérature française au Département UFR Lettres et Philosophie de l'Université de Bourgogne. Vous pouvez consulter le programme au bas de cette page.

Engoncé dans ses codes et sa pudibonderie, le XIXe siècle peine à laisser le corps exister. Littérature et arts de l’époque rendent compte de cette restriction en ne laissant apercevoir des corps que des fragments. Mais en retour ces morceaux choisis se chargent de sens, se voient investis d’un potentiel dont la charge diffère d’un artiste à l’autre.

Le potentiel érogène est sans doute le plus évident: comme le faisait remarquer R. Barthes dans Le Plaisir du texte, «l’endroit le plus érotique d’un corps n’est-il pas là où le vêtement bâille» et les artistes ont beau jeu de «reconstrui[re] les corps, brûlé[s] de belles fièvres», tel le Rimbaud d’À la musique. La femme devient cette fugitive dont l'artiste cherche à deviner le corps —et l'âme— dans les interstices de son échafaudage vestimentaire. Passante, il semble qu'elle abandonne sur la page ou sur la toile des éclats incarnés d'elle-même qui rythment la prose ou accentuent le trait.

Dans ce déploiement du corps fragmenté que donne à lire nombre de descriptions romanesques, le corps se fait collection et devient paradoxalement, à force de détails, souvent indéchiffrable; visible, mais éclaté, il en devient étrangement énigmatique. Ainsi, morceaux et fragments invitent à la recomposition d'un ensemble rarement homogène, sorte d'échafaudage esthétiquement subjectif où la partie peut devenir autant l'ombre du tout que sa mise en lumière, c'est selon. Au sein de ces architectures, si les corps se ressemblent, force est d'admettre que chaque partie d'eux-mêmes les individualise fortement. Le fragment de corps est un territoire en soi qui exprime moins la norme que l'exception. Aussi, le motif partiel prend une dimension fortement signifiante: inquiétant et indiciel dans la littérature fantastique, il devient désignation métonymique du caractère dans la littérature réaliste, du tempérament dans la littérature naturaliste. Une sémiologie du corps par fragments s'instaure, dont les arcanes restent à mettre au jour et que ce colloque multidisciplinaire voudrait éclairer.

 

Programme du colloque

Cliquez sur le titre d'une communication pour accéder à l'archive audio/vidéo.

 

Mot de bienvenue de Véronique Cnockaert

 

Séance: Mettre en pièces

Bertrand Marquer. «Le regard de l'anatomiste: de l'analyse au fétichisme»

Marc Décimo. «Du sourire aux poils faciaux de la Joconde»

Solène Thomas. «Vêtir, masquer, mettre à nu: imaginaire érotique et social du vêtement chez Verlaine»

 

Séance: Diffractions

Andrea Oberhuber. «De la tête aux pieds: inquiétantes visions du corps chez la Castiglione et Robert de Montesquiou»

Maya Kechaou. «Cette main que j'avais maintenant à travers la cervelle: chair possédée-chair cryptée ou de l'étrangeté à la diaphanéisation signifiante du corps féminin dans Le rideau cramoisi de Barbey d'Aurevilly»

Houda Amri. «L'espace, outil de recomposition du corps féminin fragmenté» 

Allison Faris. «Dédoublement et fragmentation dans La Fille aux yeux d'or»

Marie-Ève Richard. «Le corps masqué et métonymique comme dispositif optique: L'au-delà de la mécanique du désir dans Le Surmâle d'Alfred Jarry»

 

Séance: Morceaux de choix

Sophie Ménard. «Le pied mal chaussé de la "mendiante rousse" baudelairienne: lieu d'une articulation dialogique entre conte et poésie»

Julien Marsot. «De la jambe de Baudelaire à l'oeil de Trézenik: la désublimation décadente du mollet»

Émilie Sermadiras. «La poétique du fragment dans Sainte Lydwine de Schiedam de J.-K. Huysmans, ou comment donner forme à "un amas répugnant de bribes"»

Marie-Ange Fougère. «La bosse amative. Nuque et désir au XIXe siècle»

 

Organisation du colloque

Véronique Cnockaert est directrice de FIGURA, le Centre de recherche sur le texte et l’imaginaire. Elle est professeure au Département d’Études littéraires de l’Université du Québec à Montréal et co-fondatrice du LEAL (UQAM/Figura). Spécialiste de l’œuvre de Zola et du Naturalisme, elle a commenté Au Bonheur des Dames, dans la collection Foliothèque chez Gallimard en 2007, elle a publié Émile Zola. Les Inachevés. Une poétique de l’adolescence aux Éditions XYZ / Presses universitaires de Vincennes en 2003; elle a aussi dirigé les Actes du colloque Émile Zola. Mémoire et Sensations aux Éditions XYZ en 2008. Elle s’intéresse également aux rapports entre littérature et anthropologie. Elle a publié en collaboration avec Marie Scarpa et Jean-Marie Privat (univ. Paul-Verlaine de Metz) Anthologie de l’ethnocritique (Presses universitaires de Québec, collection «Approches de l’imaginaire», sous la dir. de Rachel Bouvet & Bertrand Gervais, 2011).

Marie-Ange Fougère est maître de conférence en littérature française à l'Université de Bourgogne. Elle a publié en 2001 l'essai intitulé L'ironie naturaliste - Zola et les paradoxes du sérieux et, en 2010, Le rire de Rabelais au XIXe siècle. Elle a également travaillé sur divers ouvrages collectifs.

 

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Pour citer ce document:
Cnockaert, Véronique et Marie-Ange Fougère, (org.). 2015. La chair aperçue. Imaginaire du corps par fragments (1800-1918). Colloque organisé par Figura, Centre de recherche sur le texte et l'imaginaire. Montréal, Université du Québec à Montréal, 23-24 avril 2015. Document vidéo. En ligne sur le site de l’Observatoire de l’imaginaire contemporain. <https://oic.uqam.ca/fr/evenements/la-chair-apercue-imaginaire-du-corps-par-fragments-1800-1918>. Consulté le 1 mai 2023.

La bosse amative. Nuque et désir au XIXe siècle

Au XIXe siècle, le ruban dont une jeune femme enrobe son chapeau en laissant les extrémités flotter sur sa nuque porte un nom très suggestif: «suivez-moi jeune homme». L'accessoire, comme sa dénomination, attire l'attention sur une partie du corps dont le pouvoir sensuel peut sembler surprenant, à savoir la nuque. Sous d'autres latitudes, cette partie arrière du cou est un ancestral secret de séduction.

La poétique du fragment dans «Sainte Lydwine de Schiedam» de J.-K. Huysmans, ou comment donner forme à un «amas répugnant de bribes»

Si les motifs du morcellement et de la décomposition circulent dès les premiers récits, ils acquièrent une densité poétique et herméneutique nouvelle dans les oeuvres d'après la conversion. Ils prennent désormais sens à la lumière d'une spiritualité catholique doloriste qui valorise les vertus réparatrices de la souffrance, comme en témoigne le cas exemplaire de Sainte Lydwine de Schiedam

Le pied mal chaussé de la «mendiante rousse» baudelairienne: lieu d'une articulation dialogique entre conte et poésie

On retrouve dans les tableaux parisiens un flâneur trébuchant sur les mots comme sur les pavés et rencontrant des porteurs de béquilles, un cygne qui de ses pieds palmés frotte le pavé sec, un squelette laboureur aux pieds sanglants et nus, un quadrupède infirme aux pas maladroits, une coquette aux pieds secs que pince un soulier pomponné, joli comme une fleur, et - enfin - une passante qui déambule avec une jambe de statue.

Le corps masqué et métonymique comme dispositif optique: l'au-delà de la mécanique du désir dans «Le Surmâle» d'Alfred Jarry

La figure du surmâle d'Alfred Jarry, convoquée dans la plupart de ses essais, en est la crystalisation ultime. Explorer cette figure en suivant la perspective de la chair aperçue et de l'imaginaire du corps par fragment a été pour moi l'occasion de prendre la tangente, comme dirait Jarry, en m'écartant dans un parcours assez étourdissant par ses multiples va-et-vient dans le texte. 

Dédoublement et fragmentation dans «La Fille aux yeux d'or»

Selon Rémi Astruc, le grotesque est lieu d'impossibilité réalisé, un entre-deux qui présente un monde dédoublé. D'après William Keiser, ces parties essentielles consistent d'un «mélange d'éléments hétérogènes, la confusion, la qualité fantastique et même une espèce d'aliénation du monde». C'est ce grotesque qui, selon Astruc, caractérise le romantisme noir de Baudelaire. Un grotesque où «il s'agit alors d'un héros en proie à une rupture beaucoup radicale avec le monde que la simple mise à l'écart provoquée par la difformité extérieure».

«Cette main que j'ai maintenant à travers la cervelle»: chair possédée-chair cryptée ou de l'étrangeté à la diaphanéisation signifiante du corps féminin dans «Le rideau cramoisi» de Barbey d'Aurevilly

Le rideau cramoisi est le produit de cet artifice qui consiste à faire parler quelqu'un. Ce quelqu'un est, en l'occurrence, un ancien militaire: le vicomte de Brassard. L'effet de son récit, le sien, remonte à 35 ans. Il était jeune. Il n'avait pas, proteste-t-il, 25 ans. Pour résumer rapidement l'histoire, la nouvelle porte en titre le prétexte du récit même. C'est sous la fenêtre d'une demeure provinciale dans une petite ville de Normandie que la diligence dans laquelle voyagent le narrateur et le vicomte de Brassard s'arrête de nuit en raison d'un léger accident.

De la tête aux pieds: inquiétantes visions du corps chez la Castiglione et Robert de Montesqiuou

La démarche de la comtesse de Castiglione et du comte de Montesqiuou relève d'un rapport à la figuration de soi essentiellement par la peinture et la photographie (je m'intéresserai surtout à la photographie) qui a de quoi nous étonner encore aujourd'hui, à l'ère de la prolifération de subjectivités inventées, à l'ère des réseaux sociaux ou les blogues personnels.

Vêtir, masquer, mettre à nu: imaginaire érotique et social du vêtement chez Verlaine

À partir du thème de «La chair aperçue, imaginaires du corps par fragments», j'aimerais proposer une variation, non pas autour de la chair, mais autour du vêtement. Pour qu'il y ait chair aperçue, il faut qu'il y ait mise à nue totale ou partielle. Il faut deux éléments: d'une part une peau et d'autre part un vêtement. Le vêtement est donc paradoxalement nécéssaire pour qu'il y ait nudité, c'est-à-dire pour qu'il y ait conscience de la nudité. On peut dire qu'Adam et Ève, au Jardin d'Éden, n'étaient pas nus, dans la mesure où ils n'avaient pas conscience de leur nudité.

Du sourire aux poils faciaux de la Joconde

Le sourire de la Joconde a donné beaucoup à penser et à écrire. Réalisée entre 1503 et 1506 par Léonard de Vinci et, question qui a fait couler beaucoup d'encre et parfois de peinture, on s'est demandé pourquoi elle souriait. Laissant de côté les yeux, je me concentrerai sur le sourire. On s'est demandé pourquoi elle souriait, ce que laissait entrevoir ce mouvement particulier des lèvres, si c'était un sourire aux anges, si elle souriait sous cape ou dans sa barbe.

Le regard anatomiste: de l'analyse au fétichisme

Le «regard de l'anatomiste» est une expression que j'emprunte à Rafael Mandressi, auteur de l'ouvrage Le Regard de l'anatomiste. Dissections et invention du corps en Occident. Ce dernier dit: «Les anatomistes débarquent sur le corps humain, mus par le dessein d'exposer au grand jour ses secrets. Ils redessinent sa carte, dressent une toponymie et fixent, se faisant, une topographie nouvelle. Ils redécouvrent en somme en soumettant le corps à une mise en morceaux».