Surtout s’il est de stratégie, le jeu ne va pas sans effet de surprise, sans art de la feinte. Constamment, il s’agit d’anticiper les gestes de l’autre, d’infléchir le cours de son action, de lui présenter des leurres comme des faits, de lui cacher le déploiement silencieux des armes qui auront raison de lui. Bien jouer, c’est déjouer l’autre.
Des figures du jeu de stratégie, l’art de la feinte ainsi conçu est sans doute l’une de celles qui rencontrent le plus fructueusement le terrain de la fiction littéraire, et de plus d’une façon. Art de la feinte, la fiction l’est ainsi assurément dans un premier sens évident, puisqu’il peut s’agir là de faire croire à ce qui n’a jamais eu lieu. L’évidence, toutefois, se trouble aux frontières de l’autofiction ou de la métafiction qui, du dehors ou du dedans, viennent brouiller l’espace de la vraisemblance. Art de la feinte, la fiction l’est aussi par exigence presque conversationnelle: comme Eco l’explique, il ne vaut la peine de raconter que lorsque ce qui devait se produire n’a pas eu lieu. En principe, nul récit sans surprise. La fiction déploie ainsi événements et êtres sous les auspices de la précarité, leurs états, désirs ou volontés étant appelés à être contrariés à plus ou moins brève échéance. Art de la feinte, la fiction littéraire l’est encore en une troisième acception, plus retorse, plus fondamentale aussi: quand le texte, après avoir mis en place son univers diégétique, le détraque du dedans, s’emploie à en proposer des versions multiples et incompatibles, s’abîme en reflets variés et déformés d’un monde dès lors perdu.
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Cet article a d'abord été publié en 2007 dans Intermédialités (n°9).
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