Imaginons trois dispositifs qui paraissent contrevenir aux règles les plus élémentaires de la logique et du réalisme: un anneau permettant à son propriétaire d’être invisible et d’agir comme bon lui semble; un malin génie dont l’unique fonction est de faire douter des évidences les plus écrasantes, fût-ce celles qui proviennent des cinq sens; imaginons enfin que nous ne sommes pas des êtres de chair et d’os, mais des cerveaux dans une cuve recevant des stimuli envoyés par un ordinateur.
Si ces trois situations semblent tout droit sorties de l’histoire du fantastique ou de la science-fiction, c’est notamment parce que de nombreux récits – littéraires et cinématographiques – en ont offert des variations au fil du temps, des oeuvres de J.R.R. Tolkien, H.G. Wells et Philip K. Dick à la série The Matrix, parmi bien d’autres exemples. On les trouve pourtant sous la plume de trois philosophes, et non les moindres: Platon1 (424-348 av. notre ère), René Descartes2 (1596-1650) et Hilary Putnam3 (né en 1926), respectivement. Voilà trois penseurs dont on ne saurait remettre en doute le profond rationalisme. Dans certains passages de leur oeuvre philosophique, ils se sont pourtant servis de ces récits fictifs comme «supports de réflexion». Comment expliquer qu’une discipline habituellement associée à la logique et à la raison accorde aussi un rôle important à des motifs plutôt fantastiques? Telle est la question à laquelle je tenterai de fournir une réponse, dans ce qui suit4. Après avoir mis en place une approche misant moins sur la comparaison que sur la contamination, je retiendrai une définition sommaire du fantastique, puis je m’attarderai à quelques exemples montrant à quel point le fantastique habite la philosophie.
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Cet article a d'abord été publié dans la revue Brins d'éternité, n°26, en 2013.
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